NAISSANCE D’UNE SPIRITUALITE FEMINISTE CHRETIENNE

NAISSANCE D’UNE spiritualité FÉMINISTE CHRÉTIENNE

C’est connu! Les féministes croyantes réapprivoisent le sacré et la vie spirituelle à partir de leur réflexion féministe, à partir donc de leur vécu de femmes. Prendre ce risque, c’est, au plan rationnel, une exigence de cohérence, bien sûr. C’est aussi, au plan spirituel, une affirmation de notre vie de foi en même temps qu’une question de survie dans la foi. Quelles sont donc nos pratiques de vie spirituelle féministe? Hésitantes au début, peu nombreuses encore, mais de plus en plus sûres, nos expériences sont prometteuses de perles précieuses qui ne pourront qu’enrichir l’héritage spirituel des croyantes et des croyants. En voici quelques exemples.

Des féministes croyantes réécrivent la Parole et la prient même, individuellement et collectivement, sous le mode de la féminisation.

« Heureuses celles qui travaillent à pétrir le pain de l’autonomie, de l’égalité, de la solidarité: ensemble elles nourrissent la terre. Malheureuses celles qui, sont facilement rassasiées des miettes qui tombent de la table sacrée… elles paralysent la croissance de l’Église. »

(L’autre Parole)

« Au commencement était la Parole

Et la Parole était auprès de Dieue

Et la Parole êta.it Dieue.. . « 

(L’autre Parole)

« Je crois en Jésus qui parlait de Dieu…

comme d’une femme qui cherchait en balayant

ce qui était perdu »

 « Je crois au Saint-Esprit

l’esprit féminin de Dieu… »

(Rachel Wahlberg)

Étenelle Source de toute chose, écoute-nous

toi, qui es la maîtresse de 1’histoire

interviens par tes sarments féminins

 Amie, notre cri monte vers toi

(Ps. 50, Kate Rulman)

« Des yeux de la femme, il essuiera toute larme

La mort de la domination, de la violence, du

viol ne sera plus.

Il n’y aura plus de femmes mineures ni de femmes

opprimées

A celles qui ont soif, je donnerai la source de

la liberté. « 

(Gertrude Giroux)

Des féministes croyantes se regroupent en communauté de foi pour célébrer la naissance de Jésus, sa mort et sa résurrection, ou d’autres événements particuliers. Elles inventent alors tout naturellement une façon bien à elles de prier et de faire action de grâces; une façon bien à elles de se souvenir… de faire mémoire… Tout porte le sceau de notre vécu de femmes (les textes bibliques et autres, les symboles utilisés, les questions et la vie partagées, la prière qui surgit…). Dans ces rassemblements, il y a, bien sûr, des femmes responsables de la préparation et du déroulement de la célébration; mais cette fonction « ministérielle » ne comporte aucune préséance ni aucun privilège. Au contraire, le sacré qui nous réunit, loin de dresser une barrière, nous situe en plein terrain d’égalité. C’est à ce Royaume de liberté et d’égalité que nous convoque d’ailleurs Jésus lui-même quand lé voile du Temple se déchire à l’heure précise de sa mort.

Des féministes croyantes relisent de plus en plus la Bible avec leurs yeux de femmes. Oh ! Merveille! Surgissent alors du silence patriarcal, des événements ou des personnages qui confirment l’égalité de la femme et de ses droits dans le projet de Dieu pour l’humanité.

– Quelle assurance pour nous de savoir que le texte hébreu de la création parle du « côté de l’être humain » et non de la « côte du mâle » d’où apparaîtront deux êtres distincts l’un de l’autre !

– A quelle réconciliation appelle le texte original quand il évoque une seule création humaine:  « II le créa homme et femme »!

– Quelle dignité nous est offerte dans l’émerveillement mutuel de l’homme et de la femme qui se découvrent pairs: « Enfin un(e) égal(e) à moi, avec qui tenir un dialogue! »

– A quelle conversion sommes-nous convoquées quand, enfin, le Créateur ne se présente plus à nous comme le Maître de la vie qui dessine des rôles, mais, bien au contraire, comme un Père et une Mère qui donnent la vie et la liberté S des créatures qui continueront à se partager ce don les unes aux autres.

– Quelle tendresse nous est dévoilée dans une Trinité qui est Père, Fils et Mère, puisque la personne appelée Esprit-Saint dans le langage patriarcal, a été dite en hébreu par un terme féminin « ruah »!

Oui, il nous est donné, à nous aussi femmes, de connaître Dieue visage contre visage. Et il nous appartient de nous partager les unes aux autres ces lectures spirituelles; par le fait même, nous nous redonnons un imaginaire et une mémoire collective.

Ces diverses pratiques posent évidemment les jalons d’une spiritualité féministe. Car qui dit spiritualité dit expérience de Dieu. Et il n’y a d’expérience possible de Dieu qu’à travers le vécu personnel et collectif de chaque être humain. Dès lors rien d’étonnant que les femmes choisissent de faire l’expérience de Dieue à partir de « leur vie de femmes. Il est tout à fait normal que, à l’heure de la résurgence des femmes dans tous les champs de la vie humaine, sonne aussi le carillon de l’expérience spirituelle des femmes croyantes. Le scandale ne peut venir que du pouvoir patriarcal qui voudrait bien garder la nain-mise sur les joyaux de la spiritualité des femmes, et y prendre occasion de maintenir les femmes dans le silence, la soumission, voire même l’aliénation.

Dieue merci! L’expérience spirituelle féministe est amorcée, elle aussi, de façon irréversible. Notre détermination et notre audace s’enracinent dans les certitudes fondamentales suivantes:

– dans la volonté même de Dieu (mâle ou pas) qui, dès la création, affirme la valeur égale de la femme et l’appelle ainsi que l’homme à dominer la terre…

– dans la dynamique même de la Tradition qui n’est pas figée dans un temps, dans un espace, dans des modalités et mentalités particulières; elle est, au contraire, vivante, en mouvement, parce qu’elle est essentiellement liée à la vocation première confiée à l’humanité de dominer la terre. Fidèles à cette vocation, les femmes ne peuvent, sans trahir leur vocation spirituelle, se dispenser de leur apport spécifique en s’en remettant exclusivement aux traditionnels et prétendus seuls maîtres de la Révélation. Si la Révélation de Dieu et de Dieue est enfermée dans la puissance cléricale, si le « faites ceci en mémoire de moi » est emprisonné dans un style de célébration réservée aux fonctionnaires du sacré, aussi bien admettre alors que sont vidées de leur sens réel la vie et la mort de Jésus pour partager avec tous les êtres humains sans distinction le don même de Dieu à l’humanité.

– dans la pratique de vie de Jésus (un homme pourtant) qui, à contre-courant de la tradition de sa religion et des moeurs de son temps, promeut l’égalité des femmes comme « bonne nouvelle »

. soit dans les missions qu’il leur confie… Rappelons-nous la Samaritaine, Marie sa mère, Marie du matin de Pâques, et les autres qui l’accompagnent à travers sa mission… pour faire autre chose assurément que d’assurer les services de seconde zone.

. soit dans l’interpellation qu’il reçoit d’elles et qui l’amène à ouvrir sa mission à d’autres qu’aux fils et aux filles d’Israël… nous pensons spécialement à la Cananéenne.

. soit dans les confidences qu’il leur fait… et qui ont été mises sous forme d’évangile. Ces écritures « apocryphes », tel l’évangile de Marie de Magdala, nourrissent notre créativité.

.soit par la reconnaissance publique qu’il fait de la dignité de leur personne… l’hémorroïsse, la fille du centurion, la veuve de Naïm, la prostituée, l’adultère, etc.

– dans la certitude inaliénable que donnent la foi, l’espérance et la charité chrétiennes… Le Royaume est déjà là… Il s’agrandit dans la mesure où notre pratique chrétienne transcrit dans le vécu humain et religieux qu’il n’y a plus ni homme ni femme… Dans le Royaume de Jésus, il n’y a que des filles et des fils d’un même Père et Mère d’enfants qui ne tirent aucune espèce de supériorité de leur sexe.

La « bonne nouvelle » de cette réflexion, c’est de nous faire réaliser qu’il existe bel et bien maintenant une spiritualité féministe chrétienne. Spiritualité, parce qu’il s’agit d’une véritable expérience de Dieu. Féministe, parce que cette expérience spirituelle véhicule une lecture de foi imprégnée de notre vécu de femmes. Chrétienne, parce qu’elle est enracinée dans les fondements mêmes du christianisme.

Qui le nie affirme sa peur de perdre la foi… ou la face, ou pire encore sa peur de la vie. Car, on le sait très bien, la vie donnée par Dieu est plus forte qu’un texte, quelque sacré soit-il. Quoi qu’il se passe maintenant, personne ne réussira plus à comprimer notre élan de foi vers la libération et la totale liberté. Pour nous soutenir, entendons chaque jour Jésus en train de répéter à qui a des oreilles pour l’entendre et un coeur pour l’accueillir: « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas encore trouvé de par le monde une foi aussi grande que la leur! »

Réjeanne MARTIN

groupe Vasthi

Montréal