NOËL À SARAJEVO
Dans la ville de Sarajevo
II y avait des enfants
Qui jouaient à la marelle
Qui n’avaient plus de maisons
Plus de mères
Ils apprenaient leurs leçons
Dans les entrailles de la terre
Rangeaient leurs jouets
Avant d’aller à l’hôpital
Des enfants blancs
Des enfants rouges
Des enfants qui bougeaient
Des enfants immobiles
Ils n’étaient pas tous fils de Dieu
Ils ne croyaient pas au même ciel
Ne récitaient pas les mêmes prières
Mais riaient aux éclats
avec les copains
Avant de s’allonger dans la neige
Ils n’étaient que les fils des hommes
Que des hommes tuaient
Et ils n’étaient même pas sûrs que d’autres
À cause d’eux soient sauvés
Le long d’avenues désertes
Sous le regard de la mort
Ils transportaient des bidons
Et des estomacs vides
Comme d’autres portent leur croix
II n’y avait plus assez de bois pour cela
De loin accouraient des Rois-Mages
Chargés d’offrandes et d’espoir
Pour les enfants-rois qui naissaient
Baptisés dans le fracas des grandes orgues
Avant de mourir à leur tour,
Et le bon Dieu lui-même était présent
Qui voyait tout de là-haut
Bien plus haut que les loups
Assis en rond autour de la ville
Et qui hurlaient
Les enfants mouraient sans savoir
Ni pour qui ni pour quoi
Ils mouraient comme ils pouvaient
Et montaient droit au ciel
Y chanter la gloire des pères
Pour les rassurer on leur avait dit
Que c’était la guerre
Un jour
Lorsqu’ils reviendraient
Ils diraient à tous la vérité
La vérité cachée
Sur l’espèce humaine.
SUZANNE BLAISE, PARIS
13 janvier 1994