P0UR DES RELATIONS HUMANISANTES

P0UR DES RELATIONS HUMANISANTES

Louise Melançon, Myriam

De tout temps , les humains se sont reliés les uns aux autres, d’abord en fonction de leurs besoins de survie et ensuite, ceux-ci assurés, d’autres besoins sont nés qui ont été assumés à travers diverses cultures. Ainsi les humains, marqués par leur type de société, leurs représentations du monde et leurs valeurs, ont évolué comme  sociétés et comme individus.

Si les sociétés occidentales, dont nous faisons partie, se sont enrichies, au cours des siècles, c’est à cause de leur travail et de leurs divers génies certes,  mais c’est aussi souvent à partir de leur position de dominants, en prenant à d’autres leurs richesses. Les liens de solidarité entre les humains ont été sacrifiés à l’appât des biens au mépris de la justice la plus élémentaire. Dans les sociétés riches, dont la nôtre, le développement d’une économie de marché, fondé sur la croissance de la production de biens, a produit une culture de consommation où l’avoir l’emporte sur l’être. Les humains de même que  l’environnement sont alors traités comme des objets à consommer ou à utiliser. Les relations ainsi “objectivées” vont à l’encontre d’une intersubjectivité essentielle à l’« humanitude ». 1

l. Depuis le 18e siècle, grâce aux découvertes scientifiques et à l’évolution de la pensée philosophique, la modernité s’est développée comme une mise en valeur de l’humain, autonome et libre. En même temps, naissait un mouvement de sécularisation, de recul par rapport au religieux, recul qu’on a appelé, avec Nietzsche, “la mort de Dieu”. L’humain, se concevant alors comme sa propre fin, engendrait une vision anthropocentrique. Ainsi  par la maîtrise de son environnement, l’homme occidental a peu à peu créé son monde, le monde technique ou technologisé que nous connaissons. En fabriquant ainsi son monde, l’humain a été reconnu, dans la pensée chrétienne, comme co-créateur. Toute la réflexion théologique du début des années 1960 témoigne de cette conception que certains textes du Concile Vatican II ont endossée comme vision positive de “l’homme moderne”.2

La culture de consommation, qui a cours aujourd’hui, serait  une sorte de mésaventure, un avatar de ce monde moderne. Les objets fabriqués, depuis les gadgets domestiques jusqu’aux moyens de communication, constituent, dans les pays riches en particulier, l’environnement premier, reléguant ainsi au second plan les relations humaines de même que le développement des individus. De plus, à cause des intérêts économiques prévalant dans ces sociétés dites développées, ces se sont non seulement multipliés mais sont devenus une fin en eux-mêmes, au lieu de demeurer  de simples  moyens.. En créant son propre « ordre des objets », la culture de consommation a donc imposé aux humains un modèle qui annule le désir et la singularité des personnes et donc des relations véritablement humaines.

2. Que ce soit dans le domaine public, comme les relations de travail, ou dans le domaine privé, comme les relations familiales, amoureuses ou sexuelles, les relations humaines sont comme imbriquées dans une culture de consommation. Dans n’importe quel milieu de travail, de l’usine à l’université, les individus sont traités comme des appareils de production. Loin de réaliser le rêve d’une société des loisirs où l’humain serait de plus en plus libéré du travail “à la sueur de son front”, les individus se sont vus devenir en quelque sorte esclaves de la valeur ajoutée à la production, à l’efficacité, à la performance. Inscrites dans un pareil contexte,  toutes les relations se trouvent contaminées. Le temps réservé aux parents, aux enfants, aux amis et amies, est réglé par les horaires de travail, les exigences de l’entreprise, les ambitions économiques pour gagner toujours plus d’argent. Les activités de loisir, de repos, de détente sont devenues des activités de consommation pour les jeunes comme pour les adultes. Le développement de soi, qu’on appelle “la croissance” – et qu’on achète – est mesuré, d’une certaine manière, à l’aune des objectifs de performance.

Devant une telle aliénation sociale et culturelle, nous pouvons nous demander comme féministes, ce qui en est de l’égalité que nous avons voulu laisser en héritage à nos filles? L’accession des femmes à tous les champs professionnels et aux lieux de travail a- t’elle vraiment changé le modèle dominant lorsque ce dernier  les renvoie toujours à  ? De même, ce partage des tâches, de plus en plus accepté par des jeunes couples ou des familles, ne semble pas avoir réussi à donner plus de temps pour vivre ensemble et s’aimer. Des activités de toutes sortes, produites par la culture de consommation, comme le “surfing” sur Internet ou les “jeux-vidéos” favorisent au contraire l’isolement ou réclament, pour s’exercer, l’éloignement du lieu de vie familiale ou amicale.

La vie amoureuse, la vie sexuelle surtout, sont aussi marquées par la consommation. Il semble plus important de développer des techniques et d’utiliser des objets d’excitation que d’apprendre à respecter l’autre, à l’aimer  autrement que comme un beau corps performant…  La société de consommation ne se prive pas de multiplier des modèles dans ce sens par le biais de la publicité. Au bout du compte, l’individu est emprisonné dans la conformité, même dans sa vie privée, au lieu de vivre autonome et libre. Et dans ce contexte, des femmes, des jeunes filles, de plus en plus jeunes, facilement réduites à leur apparence, à leur corps érotisé, ne représentent rien de  plus que des objets de consommation sexuelle. Quant aux femmes qui pensent poser un geste libre en devenant ou en se réclamant du titre de  , ne participent-elles pas plutôt au vaste marché du sexe?

3. Des relations sont humanisantes quand elles ont lieu de sujet à sujet, c’est-à-dire que ni l’un ni l’autre ne sont des objets à utiliser. Ni moi  ni l’autre ne sommes des marchandises qu’on peut acheter ou des biens de consommation qu’on peut jeter après usage. Les relations humanisantes ne se situent pas dans l’ordre des biens qu’on échange soit  par intérêt soit  par  besoin de sensations ou de plaisir dans une perspective narcissique. L’autre n’est pas un objet remplaçable. L’aspect singulier ou personnel de chacun et de chacune doit être respecté, pris en compte, apprécié comme tel. C’est dire que les relations entre les humains – dans ce qui leur est propre comme êtres humains – ne sont pas de l’ordre de l’appétit, ni du besoin d’objets propres à  satisfaire ces divers appétits. Elles sont de l’ordre du désir, le désir de l’un qui va à la rencontre de l’autre, sujet comme lui, et de qui  il attend la reconnaissance de son altérité comme il lui accorde la sienne. Cette loi de la réciprocité est le  fondement de toute éthique humaine. Et c’est sur cette éthique humaine que repose l’ordre de l’amour qu’annonce le message de Jésus dans l’Évangile et auquel nous sommes appelé-es comme fils et filles “divines”.

En conclusion, il existe aujourd’hui des mouvements, comme celui de la “simplicité volontaire”3, qui naissent et nous font prendre conscience de cette situation en nous proposant une nouvelle attitude par rapport à notre monde matérialiste et à notre culture de consommation. Ils nous invitent  à vivre plus sobrement, à briser notre dépendance au profit et à la surconsommation afin de disposer de  plus de temps pour penser à soi, à ses proches et pour développer des liens véritables. Le mouvement écologique va dans le même sens quand il interroge nos rapports à l’environnement, ou notre sensibilité à l’ensemble des habitants de cette terre finie et fragile. Nous sommes ainsi interpellées à nourrir nos relations humaines pour qu’elles soient plus équitables, plus respectueuses, plus “intersubjectives” et donc humanisantes.

1. J’emploie ici le néologisme humanitude pour indiquer ce qui serait le propre des humains par rapport à « humanité » qui s’applique à l’ensemble des êtres humains concrets et à « humanisme » qui se dit d’une théorie ou doctrine visant la promotion ou l’épanouissement de la personne humaine.

2. En particulier, le document L’Église dans le monde de ce temps (Gaudium et spes).

3. Comme celui de Serge Mongeau