Pour nous préparer à la Marche mondiale de l’an 2000
Quelques souvenirs de la Marche des femmes contre la pauvreté de 1995
C’est dès le début de ce projet de Marche que notre équipe auxi s’est impliquée. En effet, Gisèle Ampleman qui s’est trouvée partie prenante dès le lancement de l’idée puis très active au Comité d’organisation, nous a permis de suivre de près toutes les étapes qui ont conduit à sa réalisation : les hauts comme les bas, les bouffées d’enthousiasme comme l’assaut des interrogations.
Une autre membre de notre équipe, Aline Côté, s’est aussi impliquée d’abord dans le travail de préparation, tant au bureau avec d’autres bénévoles que sur la route pour faire des courses et des transports divers avec l’auto puis comme accompagnatrice motorisée durant les dix jours qu’a duré la marche de Montréal à Québec.
Pour ma part, je me suis sentie très vite rejointe et interpellée par ce projet. Étant liée au mouvement des femmes, surtout des personnes assistées sociales, et témoin de ce que trop d’entre elles avaient à vivre et à lutter, j’ai eu le goût de m’embarquer. Mais en serais-je vraiment capable ? J’avais alors 79 ans et je me posais la question. Considérant ma pratique assidue d’activités physiques : marche, bicyclette, ski de fond ainsi que les possibilités d’entraînement et d’encadrement offertes aux futures marcheuses, je pris le risque de m’inscrire. De toute façon, je n’y perdais rien à améliorer ma forme physique. L’entraînement nous donnait aussi l’occasion de nous retrouver entre nous, les futures marcheuses de la région de Montréal — dont quelques-unes dans la soixantaine — nous encourageant mutuellement à relever ce défi. Pendant ce temps, une solidarité se construisait petit à petit entre nous.
Cette longue marche fut pour moi une expérience unique et inoubliable. Il n’y a presque pas de mots pour l’exprimer Contrairement aux quelques prophètes de malheur me prédisant que je finirais épuisée, cela s’est très bien passé : fatigue normale, enthousiasme et émerveillement de vivre un tel événement avec les centaines de femmes de toute origine et tout âge. C’est « par les pieds » qu’on a fait la découverte du Québec profond avec ses routes rurales, ses fermes et ses villages comme avec les quartiers des grandes villes. Partout les marcheuses ont reçu un accueil extraordinaire. J’avais le sentiment d’avoir emporté avec moi toutes les femmes qui auraient aimé venir marcher avec nous, mais qu’une santé précaire, des obligations familiales ou de travail avaient empêché.
De cette expérience, je retiens tout particulièrement mes contacts avec les jeunes marcheuses qui m’exprimaient très fort et de façon touchante tout ce que signifiait pour elles la participation des aînées à cette marche. Nous avons eu entre nous de bons échanges. Marcher avec elles me paraissait très important puisque c’était pour l’avenir de ces jeunes femmes que nous marchions. Par ailleurs, mon âge qui faisait de moi la doyenne des marcheuses attirait évidemment l’attention des médias et je dus répondre à bien des interviews. J’étais devenue, sans le chercher, très populaire. Tant mieux si ça a pu aider la cause.
Un autre aspect très stimulant qui devait devenir le premier germe du projet de la marche mondiale, fut la présence solidaire des femmes du Sud*. Un bon nombre d’entre elles, venues au Québec pour une rencontre de solidarité internationale, insistèrent sur le sens profond qu’avait pour elles cette marche des femmes et dont témoigne le message reçu au cours de la marche :
« Les 10 000 femmes membres de l’Association pour le progrès et la défense des femmes maliennes, des zones rurales et urbaines du Mali (APDF) ont appris avec fierté la grande marche historique et courageuse que leurs sœurs québécoises ont entamé depuis le 26 mai 1995 afin de réclamer plus de justice et d’équité. Nous voulons vous témoigner toute notre solidarité et notre engagement moral à vos côtés car le combat des femmes est le même où qu’il soit mené. Bon courage et bonne marche à toutes, en toute « sororité ».
Cette manifestation historique devait marquer un point tournant dans la reconnaissance de la place des femmes dans notre pays. Elle restera un moment unique de convergence entre les femmes issues de multiples associations et regroupements venant de partout à travers le Québec.. Elle débouche maintenant sur l’extraordinaire mobilisation des groupes de femmes à travers le monde, mobilisation suscitée par le projet de la Marche mondiale de l’an 2000.
Il nous est permis de penser qu’au plan international, d’autres avancées importantes marqueront un nouveau tournant contre l’appauvrissement des femmes et la violence qui leur est faite.
CHRISTIANNE SIBILOTTE
* Elles venaient du Brésil, du Pérou, du Nicaragua, du Burkina Faso, du Mali, du Cameroun, du Mozambique, du Togo, d’Erythrée, du Rwanda, du Liban, de Palestine, de la Somalie, d’Algérie, des Philippines.