QUAND UNE TROUSSE DEVIENT DOCUMENT …
Rita Hazel (Marie-Eve)
La trousse de travail préparée par Mme É. Lacelle et son Comité (désignée plus bas par V. 1 pour version première) est devenue le Dossier d’animation sur les femmes dans l’Église (V.2). Enmai 1985, lors du lancement officiel de ce dernier, on nous a assuré que les modifications avaient été « minimes et surtout d’ordre linguistique ». Voyons voir:
Objectif global
V. 1 – « Que les Églises locales deviennent des lieux de réflexion et d’action qui favorisent un projet d’Eglise où les femmes et les hommes s’engagent comme partenaires à part entière dans tous les domaines de la vie. »
V.2 – « La perspective qui est envisagée ici est le vivre-ensemble des femmes et des hommes dans le contexte ecclésial (…) là où les participante)s peuvent observer la situation concrète des femmes dans leur communauté et s’engager dans les transformations jugées nécessaires ou souhaitables. »
Déroulement des rencontres
a) V.l – Chaque rencontre commence par un rassemblement dans la méditation d’un court texte soigneusement choisi, ou composé expressément, qui permet de s’approprier le sujet, de cerner l’objectif et de se placer dans un état d’esprit propice. La lecture est souvent suivie d’un moment de silence, parfois d’un bref échange, d’une prière.
V.2 – Aucune précision n’est donnée pour le choix d’une introduction. L’animation commence par des échanges, très souvent en petits groupes, où généralement l’on tente d’emblée de répondre à des questions, après peu ou pas d’entrée en matière.
b) V. 1 – De la même façon, un texte particulier à chaque thème permet de terminer en intégrant réflexions et résolutions, et en intercédant pour l’atteinte de l’objectif.
V.2 – Sauf dans un cas, la conclusion est invariable, se contentant de mentionner: « Temps d’intégration et de prière – Nous prenons 10 minutes pour exprimer ce que cette rencontre a pu nous apporter (…) Nous terminons par un chant, une prière ou une courte célébration de la parole. »
Textes de référence ou de réflexion
a) V. 1 – L es pièces annexes comprennent :
– Trois textes écrits par des femmes : Poème de foi, de Rachel Wahlberg, qui évoque des rencontres de Jésus avec les femmes de l’Evangile; Toi, notre Espérance, de Kate Bulmanet Béatrice Gothscheck, modulation du Nôtre-Père, et La terre nouvelle et l’Église nouvelle, de Gertrude Giroux, paraphrase de versets de l’Apocalypse
– L’intervention de Mgr L .-A. Vaehon au Synode de 1983.
V. 2 -Aucune trace des trois premières pièces
– Au texte de Mgr Vaehon sont ajoutés deux autres discours épiscopaux à Rome (Mgrs Fhahiff et Lebel), riches d’arguments en faveur de l’égalité homme-femme dans l’Église
– Les 12 recommandations du Comité ad-hoc adoptées par les évêques canadiens.
b) Dans tous les cas, le choix des textes de référence donné au début de la fiche de rencontre a été modifié: parfois très légèrement, parfois de façon importante. Certaines lectures ont été remplacées, d’autres supprimées et plusieurs ajoutées, ces dernières provenant souvent de Vatican II ou du magistère. La plupart des lectures enlevées sont des versets bibliques auxquels s’ajoutait souvent un commentaire ou une suggestion, par exemple, de lire « humanité » au lieu de « homme », etc.
c) Les textes composés en vue de prière ou de méditation à l’intérieur des rencontres ont tous été supprimés. Or là se trouvaient peut-être les idées les plus novatrices, i.e. qui tentaient de relier l’engagement féministe à la pensée de Jésus et à son Évangile.
Vocabulaire
En V.2, certains termes sont moins concrets, plus généraux, plus neutres, moins percutants.
Comparaison globale du 1er thème : À l’écoute des signes des temps
a) Point de départ
V.l – Après la méditation d’une lecture de Luc 4, 17-21, on rappelle que Jean XXIII, dans Pacem in terris, affirme que tout être humain est « sujet de droits et de devoirs », et doit « vivre dans la vérité, la justice, l’amour et la liberté »; que « le pape y signale comme signe des temps l’entrée de la femme dans la vie publique ».
V.2 – On commence en citant la même encyclique mais uniquement pour mentionner que les signes des temps « appellent l’Église à redécouvrir comment exercer sa mission ».
b) La réflexion
V. 1- est centrée sur le mouvement des femmes (comme signe des temps), sur leurs droits et leurs devoirs, avec un accent particulier sur la recherche de la justice. Une grille présente « les quatre éléments constitutifs de la justice » (biens essentiels, dignité, participation, solidarité) et le groupe doit, entre autres, déterminer les « principaux droits à inclure dans une charte des droits de la femme » pour ensuite « identifier une activité ou un lieu d’intervention possible ».
V.2 -risque de se diluer sur les signes des temps en général dont 16 exemples sont donnés, allant de l’électronique à l’inflation en passant par la consommation et les relations est-ouest… Plusieurs textes (bibliques et conciliaires) occuperont une partie du temps (lecture et réactions). La recherche porte sur un changement à apporter pour que les femmes soient des partenaires avec les hommes. Il n’est plus question de droits ni de devoirs ni de justice, dont la grille de lecture est disparue.
c) La conclusion
V. 1 -Les participantes « s’engagent à collaborer au ministère de Jésus dans leur communauté locale, » en revenant au texte de Lui: lu au début, où Jésus annonce, entre autres, qu’il est envoyé par l’Esprit pour proclamer aux captifs la libération et renvoyer les opprimés en liberté.
V.2 -Échange sur ce que la rencontre a apporté à chacun… suivi d’un chant, prière, ou courte célébration de la parole.
Quelques exemples de modifications
Le vocabulaire… ou la façon de dire
a) V. 1 – On se demande « si la femme a la place qui lui revient « .
V.2- « si la femme a une place suffisante ».
V.l On se demande « comment procéder pour que les femmes deviennent participantes à part égale avec l’homme ».
V.2- . ».comment procéder pour que les femmes occupent la place qu’elles sont appelées à assumer en tant que filles de Dieu ».
b) Dans le thème sur la sexualité, on mentionne que les femmes contemporaines prennent une nouvelle conscience de leur corps:
V. 1 – « Elles commencent à s’exprimer elles-mêmes, elles cherchent à le découvrir et à le développer le mieux possible ».
V.2 – « Elles commencent à s’exprimer, cherchent à se découvrir, à développer leur personnalité propre ».
V.l – « L’indignation » d’une femme devant les déclarations officielles sur la limitation des naissances (citation d’un témoignage)…
V.2 – …devient « Je ne comprends pas » les déclarations L’animation ou le déroulement
Thème : »L’image de la femme dans l’Eglise ».
a) V. 1 – fait dresser une liste des fonctions remplies par les femmes, puis de celles tenues par les hommes dans la paroisse et le diocèse, et comparer l’image qui en découle avec celle de la femme et de l’homme dans la société.
– liste spontanée des femmes, et des hommes, qui ont marqué l’histoire de
V.1 ‘ Église. Comparaison des images.
– question sur une expérience personnelle qui aurait, « fait prendre conscience de l’importance, pour les femmes, de l’image que l’on se fait d’elles dans l’Église. »
V.2 – Ces trois démarches sont remplacées par:
– Choisir parmi des mots déjà donnés (force, douceur, piété, audace, hu16 milité, logique, etc.) 5 termes « qui conviennent aux femmes et 5 qui conviennent aux hommes » (sic!). Dire quelle image on a de la femme, puis de l’homme, et quels qualificatifs traduisent le mieux l’image des femmes dans l’Église.
b) Y. 1- Analyse du Poème de foi (cf. plus haut, textes de référence). Question:
« Quelle est l’image de la femme que Jésus annonce avec le Règne de Dieu? »
V.2- Cette question n’apparaît pas, ni le poème d’ailleurs.
L’interrogation
a) t Thème « Les femmes et leur vie sexuelle dans l’Église » devenu, en V.2,
« L’Église, les femmes et la sexualité ».
L’énoncé de l’objectif indique déjà le glissement de l’interrogation:
V. 1 – « Prendre conscience de la situation de la femme quant à sa sexualité dans l’Église »
V.2- » , des femmes quant à leur sexualité par rapport à l’enseignement de l’Église ».
En V. 1, des femmes cherchent ensemble, à partir de leur expérience et de leurs réactions aux témoignages, « s’il est possible de concilier, leur prise de conscience sexuelle avec renseignement de l’Église » et « s’il y a, dans l’Évangile, des récits ou des paroles qui peuvent nous éclairer sur ce point ».
En V.2, des personnes constatent les « difficultés vécues par les femmes face à l’enseignement de l’Église par rapport à leur sexualité », et se demandent « Comment aider les femmes à vivre pleinement leur sexualité et à être fières de leur corps sans culpabilité (…) au coeur même de l’Église », « ce que nous pouvons faire face aux difficultés » et « Connaissons-nous des organismes qui peuvent aider les femmes à bien vivre leur sexualité ».
b) Thème « Le langage liturgique »
La V.2 a supprimé l’interrogation sur la façon dont Dieu est nommé.
Elle a aussi éliminé la recherche des raisons qui pourraient « appuyer une demande de changer le langage là où c’est possible: dans l’Évangile et l1 Ancien Testament et dans l’enseignement de l’Église », comme demandait la V. 1.
Les textes de références
a) Pour réfléchir sur le thème de la sexualité,
V. 1 – le texte commenté de la guérison de l’hémorroïsse a été remplacé par
V.2 – le Cantique des cantiques
-le récit de la Visitation
-1 Jean, 4,7-21 (« Notre amour pour Dieu se manifeste à travers notre amour pour les uns les autres »).
b) Thème « Le leadership des femmes dans l’Église »
V. 1 – La recherche du sens et du renouvellement de ce leadership débute à partir de lectures de Luc et de Matthieu qui rappellent la nécessité de rompre les attaches pour être digne de Jésus, ainsi que d’un texte de méditation où l’on se souvient de l’amour de Dieu pour nous et de la confiance de Jésus en son père » tellement grande qu’elle était la source de sa liberté profonde face à toutes les traditions humaines lorsque celles-ci devenaient des barrières qui détruisaient la vie. «
Et en conclusion:
– le récit de Debora, prophétesse, juge, chef de son peuple
– versets de l’Apocalypse – « La cité n’a plus besoin de temple ».
– « Dieu, donne-nous de détruire les temples de nos bonnes consciences qui nous endorment et nous empêchent d’aller jusqu’au bout de notre service des frères et des soeurs dans notre Église (…) »
V.2- Le tout est remplacé par:
-Jean, le Bon Pasteur
– Romains, Phoebé, diaconesse, dont Paul dit qu’elle « a été une protectrice pour bien des gens et pour moi-même »
-1 Thessaloniciens, « Tout leader slip demande un respect mutuel et une paix partagée »
– André Beauchamp, « Le bon usage du leadership dans l’Eglise est important pour l’Eglise et la société ».
Cette liste d’exemples n’épuise pas les différences. A noter que les deux versions contiennent aussi des interrogations et des textes semblables…
Conclusion
Le fond, reste le même, mais la trousse a perdu de sa force, de sa personnalité, de son âme, de son élan dynamique et déterminé.
Avec la V.l, le travail entier (recherche, réflexion et décision d’agir) étant baigné de prière et de méditation, s’accomplit dans la conviction profonde et enthousiasmante que tout cet effort répond intimement à la volonté de Dieu. L es textes exhortent régulièrement au courage et à une juste audace. D’autre part, cette référence continue oriente les coeurs vers l’avènement du Royaume plutôt que vers la recherche d ‘ une douce revanche pour les siècles passés.
La V.2 ne suggère pas tant une nouvelle lecture des expériences et des Ecritures (versets bibliques sans la moindre indication inclusive) qu’un brassage d’idées déjà existantes (« que pensez-vous de… » et » que pouvons-nous faire pour »…) à la lumière de l’enseignement du magistère et des textes ecclésiaux.
Les femmes déjà sensibilisées trouveront moins d’intérêt dans ce document; en l’utilisant, les autres pourront parler longtemps sans risque de perturbations. Il créera une certaine solidarité, une certaine prise de conscience, dont l’efficacité dépendra essentiellement de la conviction et du talent de l’animatrice qui devra s’être ressourcée ailleurs…
On n’ a pas entendu de plaintes de la part des premières auteures. Souffrent-elles en silence? Est-ce que toutes affirment, sincèrement ou non, que la « révision » n’a rien changé d’important?
Je ne nie pas aux évêques le droit de modifier un document qu’ils ont commandé et qu’ils désirent promouvoir. Cependant, comment ne pas se scandaliser qu’ils qualifient ces changements de « mineurs »? Enfin, l’attention et l’importance qu’ils donnent à ce dossier actualisent le progrès de l’Épiscopat canadien dans ce domaine; mais qu’un travail effectué par des femmes et dont l’objet concerne le rôle des femmes dans l’Église, doive en dernier essor être approuvé par un groupe d’hommes seulement et, pour cela, transformé par un comité qu’ils désignent, cela illustre bien le chemin qui reste à parcourir.