Quel bien commun espérer en temps de pandémie?
Mireille D’Astous, Vasthi
Le virus causant la pandémie a un caractère insidieux. Invisible et microscopique, nous ne pouvons pas le détecter par nos sens, sans instrument scientifique sophistiqué. Nous devons faire confiance aux scientifiques et aux autorités de santé publique qui travaillent à vitesse grand V pour le décrire, l’expliquer, le prévenir et en limiter les conséquences négatives. Il faudra soigner, et peut-être même un jour, éradiquer la maladie. Il faudra soigner nos corps et aussi nos cœurs et nos communautés. Comme Ivone Gebara l’écrit : il est possible d’extraire de la tradition biblique le « bien commun », la bonne coexistence, le respect possible, la sollicitude les un∙e∙s pour les autres et pour l’ensemble de la vie de la planète. Pourrons-nous « extraire » de cette pandémie la volonté et les bons moyens pour réaliser un monde meilleur ?
Le virus est menaçant d’après les projections épidémiologiques : il se propage rapidement, ne connaissant pas les frontières tracées par des États et par des gouvernements humains. Voulant préserver nos corps, notre avenir, nos proches, notre communauté, nous, les femmes, nous, les êtres humains, tentons, tant bien que mal, de nous protéger. Mais parfois, nous ne savons plus sur quel pied danser. Comment « nous tenir la main les un∙e∙s aux autres », lorsque les distances physiques et les environnements contrôlés et hyper fermés nous protègent, au point qu’on a empêché des visites physiques aux malades ? Comment « nous tenir la main les un∙e∙s aux autres », lorsque la vie d’ermite en isolement ressemble à un excellent mode de survivance déjà connu des temps anciens ? L’histoire nous le rappelle aisément, le passé a connu son lot de fléaux, de peste, de choléra, de grippe espagnole… De même, connaître la réalité des populations défavorisées et des maladies à l’échelle globale révèle que des maladies et des mal-êtres graves ravagent déjà notre monde : VIH/SIDA, malaria, mortalité à l’accouchement, mortalité infantile, cancers, diabète, maladies dégénératives, suicides, blessures psychologiques profondes et troubles de santé mentale, etc.
Pour un temps, la lutte contre le virus et la COVID-19 a été collective, à une échelle inconnue. Les gouvernements ont ordonné des mesures dites de « confinement », des milliards de personnes ont limité leurs activités, sauf pour des besoins définis par les gouvernements comme « essentiels ». Le quotidien a été transformé drastiquement comme notre rapport à tout ce qui n’est pas délimité par les murs de nos espaces de vie. Notre connexion au monde extérieur ne tenait que par l’accès à l’Internet et aux moyens de communication technologiques.
Une calamité de plus dans un monde traversé par son lot de cruautés et de déshumanisations
Est-ce que notre monde a été chamboulé du jour au lendemain par des pertes et pour le pire, comme le relate le récit biblique du pauvre Job ? La santé, le sentiment de sécurité et de liberté en ont pris un coup. Pourtant, aucun n’est pleinement garanti. Nos corps sont vulnérables et fragiles. Notre vulnérabilité est accrue par tous les facteurs d’oppression, que ce soit notre genre, notre race, notre religion, un lourd passé… Toutes les injustices, toutes les relations destructrices et hypocrites, toutes les fois où un « puissant » nous a rejetées, nous les femmes, méprisées, regardées comme un objet non digne d’intérêt et de reconnaissance juste et équitable. « Peu importe ce que tu fais ou ce que tu dis, je maintiendrai ma domination sur toi et ne partagerai ni ma richesse, ni ma maison, ni mes biens avec toi, car je me fais une image de toi : celle d’un être sans valeur qui m’indiffère et sur lequel je porterai un jugement perpétuellement infériorisant et erroné ».
Certes, il y a eu un mouvement de solidarité sans précédent pour éviter le pire : une contamination exponentielle et non contrôlée par un virus ravageur. Une calamité de plus fait son apparition dans un monde qui connaît son lot de cruautés et de déshumanisations quotidiennes. Parfois, je me demande si la fragilité, qui peut prendre la forme de la friabilité et de l’impossibilité de contrôler, n’est pas précisément la limite entre ce qui est bien et ce qui blesse. L’apprentissage de la perte, la capacité à voir et la volonté à contrer toutes les souffrances font indéniablement partie de notre commune humanité. Sans cette conscience et ce projet sociopolitique, que reste-t-il de l’éthique ?
La pandémie de COVID-19 cause des souffrances et je me demande qui en fera le récit. Par un réseau de bioéthique, je reçois un message. Une mère de Malaisie raconte qu’elle a perdu son fils, dont la pneumonie a été fulgurante. Un bon garçon, sociable, qui aimait le sport et qui en était à sa quatrième année d’études universitaires. L’irréparable s’est produit : la mort. Le point de non-retour. La fin de vie d’une personne qui voulait faire bénéficier à sa communauté de ses compétences en santé. Il n’y aura pas de happy ending pour lui. Le happy ending est un réconfort et il n’y a rien de tel que de croire en la vie pour se mettre en mouvement. Toutefois, ne soyons pas dupes, et regardons en face les récits où il n’y a pas de fin heureuse, mais un poids accru d’injustices, d’iniquités, d’avenirs brisés. La fin heureuse semble être ailleurs, peut-être là où la pierre a été roulée, au grand étonnement des femmes, n’ayant pas craint l’opprobre en visitant le crucifié.
Méditations sur la souffrance humaine
Quelle histoire étrange que celle de Job ! Ne méritait-il pas d’être épargné ? Une Dieue de bonté mettrait-elle ainsi à l’épreuve ceux et celles qu’elle aime ? Pourquoi l’humanité est-elle traversée par tant de souffrances ? Est-ce que Dieue peut réconforter les cœurs, alors que se profilent encore des violences dans un monde qui a déjà atteint son quota il y a bien longtemps ? Faut-il en énumérer la longue liste ? Abandon d’autrui à sa propre misère ou à son propre sort, violences psychologiques constantes (mépris, culpabilisation, infériorisation), violence contre les femmes, les personnes noires, les ethnies, les personnes migrantes, les pauvres, les enfants, rejet de tout ce qui n’est pas soi et illusion d’un petit bonheur qui pourrait se construire en totale autarcie.
Pourquoi la destruction est-elle si rapide — celle d’une vie, d’une carrière, d’un amour, du lien de confiance, de la croyance — alors que la réalisation du Royaume juste est si lente et nécessite tant d’efforts, de constance, d’indignation face à ce qui déshumanise ?
Est-ce que cette pandémie est suffisante pour faire s’écrouler la tour de Babel des humains ne se comprenant par les uns les autres, les unes les autres ? Peut-être que la tour a penché légèrement, comme à Pise. Espérons que nous aurons le cœur de reconstruire, de faire le « grand reset » en apprenant à ne laisser personne derrière. On ne peut faire preuve de résilience qu’en devenant plus humain, qu’en faisant advenir un monde de bonheur durable et de respect profond. Nous appartenons aux écosystèmes et en sommes les gardiennes, nous sommes de la Terre et nous y espérons le calme et la plénitude de Dieue et de notre monde nouveau.