QUEL RÔLE POUR LES FEMMES ARTISTES ?

QUEL RÔLE POUR LES FEMMES ARTISTES ?

La bataille de l’imaginaire

Marie-Ève Gagnon *

La question de la place de la femme dans l’imaginaire collectif est essentielle, primordiale. Demander que les rôles de femmes soient plus nombreux et en nombre équitable par rapport aux rôles masculins est une revendication qui va beaucoup plus loin qu’une lutte pour accroître les revenus des comédiennes. Revendiquer une place plus grande pour les femmes dans l’imaginaire collectif est une bataille essentielle pour la survie démocratique et économique de notre société.

On n’a qu’à regarder l’histoire et à constater la corrélation qui existe entre la place des femmes dans une société donnée et le nombre et la teneur des personnages représentés dans les cultures de ces sociétés. Dans notre quête d’une plus grande équité entre les sexes, la bataille de l’imaginaire est aussi importante que celle des salaires et du soutien à la famille. Citons ici un extrait d’un document du Conseil du statut de la femme : « Une lutte politique qui ne s’accompagne pas de changements de mentalité va toujours recréer, à terme, les oppressions qu’elle avait cherchées à combattre. »

L’imaginaire collectif est ce qui influence le plus la perception que chacun se fait de sa place dans le monde. La réalité n’existe qu’à cause des perceptions que l’on s’en fait. Nous sommes « exposés » aux images, aux sons et aux mots de la culture à toutes les minutes de nos vies. Comment cela ne façonnerait-il pas notre perception de la réalité? Nous avons des responsabilités envers les générations qui nous suivent. Comment sommes-nous en train de construire leur imaginaire?

Deux questions fondamentales se posent toujours avec urgence au regard de la place des femmes en tant que « sujets » dans la culture.

La première question est celle du nombre. Les femmes sont sous-représentées comme sujets bien sûr, mais elles sont surtout sous-représentées tout court: les personnages féminins sont encore en nombre inférieur dans l’imaginaire collectif. Quand on fait le décompte des rôles distribués tant au théâtre qu’à la télévision et au cinéma, on constate très vite que les personnages féminins sont toujours moins nombreux que les personnages masculins. Cette image disproportionnée présente partout, continue à nourrir une pensée qui fait, des femmes, des citoyennes moins présentes, moins actives, moins visibles, donc moins importantes. Cet état de fait est inquiétant car on voit, en consultant le site de Statistique Canada, que la population canadienne compte légèrement plus de femmes que d’hommes.

Et qu’en est-il des femmes qui interprètent ces rôles? Il est intéressant de remarquer que malgré un mythe tenace qui laisse croire le contraire, l’Union des artistes compte moins de femmes dans son membership, soit 47 %. Elles sont d’ailleurs moins nombreuses dans presque tous les secteurs d’activité.

La deuxième question est celle de « comment » sont représentées les femmes dans la culture.

Permettez-nous de revenir sur des lieux communs tenaces et de commencer avec ce qui saute aux yeux : « l’apparence » des personnages présentés. Trop souvent, les femmes représentées sont belles et jeunes. D’ailleurs, les femmes interprètes du groupe d’âge des 19-24 ans, sont celles qui s’en tirent le mieux si on les compare à leurs confrères masculins. Rien de nouveau direz-vous et il faudrait être idiot pour haïr cette fascination millénaire qu’exerce la beauté sur la plupart des êtres humains. Bien sûr, c’est dans notre nature d’être attiré par la beauté : il faudrait simplement ne pas oublier que la beauté est multiple et même atypique, il suffit d’ouvrir les yeux. Par contre, le réflexe schizophrénique de nos sociétés vieillissantes qui refuse de se regarder dans le miroir est relativement récent et plus inquiétant.

L’âgisme est un problème qui, paradoxalement, s’aggrave à mesure que la population vieillit. Les femmes en souffrent le plus. Un exemple parmi tant d’autres, le paysage publicitaire, un des plus puissants dans la construction des automatismes de la pensée, exclut presque totalement les femmes de plus de 45 ans. En 2009, elles ne sont qu’un petit nombre à avoir travaillé dans ce secteur. En nous montrant très peu de femmes de plus de 45 ans, la culture occulte une partie sans cesse grandissante de la population, cette quasi-disparition envoie le message qu’avancer en âge est une dépossession, un appauvrissement de sa valeur comme être social et associe, encore une fois, valeur de la femme avec son attrait sexuel.

Parlons maintenant de ce que ces personnages féminins font. Trop souvent, elles sont le complément du masculin, la « blonde de », la « mère de »… L’homme étant présenté comme vecteur de l’expérience et la femme comme accessoire à cette expérience. Bien sûr, c’est une manière d’aborder la réalité qui est valable, mais elle ne doit plus être la seule. Nous réclamons un équilibre entre présence féminine et masculine, mais nous ne voulons surtout pas faire œuvre d’angélisme et souhaiter des personnages de femmes nécessairement positifs qui serviraient à prouver une prétendue supériorité morale de la femme. Non, nous souhaitons voir PLUS de personnages féminins, des femmes comme celles que nous côtoyons tous les jours. Des femmes jeunes, des femmes vieilles, des femmes complexes, parfois monstrueuses, parfois saintes, parfois médiocres, parfois géniales, parfois ordinaires et banales, parfois héroïques, parfois hilarantes, parfois sombres mais toujours au cœur de l’expérience humaine.

Même si les avancées sont nombreuses, le sol est encore fragile sous nos pas et rien ne doit être tenu pour acquis. La bataille de l’imaginaire doit être gagnée.

Pour citer, encore une fois, le document du Conseil du statut de la femme : « L’objectif est de substituer progressivement une culture de l’égalité à une politique de l’égalité. »

Il est urgent de sensibiliser les décideurs qui façonneront l’imaginaire collectif, à la nécessité de mettre en place des mécanismes favorisant le principe d’équité entre hommes et femmes et ce, sans préjudice à la liberté d’expression.

Il est essentiel pour tous les hommes, pour toutes les femmes et pour nos enfants que la viabilité démocratique et économique de notre société soit assurée par une représentation du réel qui en soit une d’équité, mais surtout une qui rend vraiment compte de toutes les facettes de l’expérience humaine. C’est ce que nous pouvons nous souhaiter de mieux.

*Marie-Ève Gagnon est présidente de l’Association québécoise des auteur-e-s dramatiques (AQAD). Elle est à la fois auteure, metteure en scène et comédienne. Elle a été pendant sept ans membre du Comité des femmes de l’Union des artistes (UDA)