QUELQUES REFLEXIONS SUR MARIE ET LE CORPS DES FEMMES DANS L’ÉGLISE
Une image n’a rien d’innocent ou de spontané. Une image se construit, s’élabore, se monte. Les éléments, les matériaux sont choisis; les formes, les couleurs, les textures remplissent un rôle déterminé, servent à créer une certaine impression. Trop souvent nous croyons à la neutralité, à l’évidence, à la réalité d’une image. Nous nous laissons piéger par l’apparent et nous ne posons pas le geste critique de l’interrogation, du démontage.
Je voudrais ici tenter d’illustrer ma pensée en me servant de l’image de Marie.
De Marie, les peintures, les reproductions, les statuettes, les images ne manquent pas. Il y a tout un « marché » de Marie. Nous devons remarquer cependant que ces représentations se situent à l’intérieur d’un cadre bien précis. Que les artistes au cours des siècles ont travaillé en privilégiant un certain « modèle ». Autrement dit: même si je mettais bout à bout toutes les représentations de Marie je n’obtiendrais pas un « film » de toute la vie de Marie mais je devrais constater que seulement quelques « séquences » ont été retenues.
Portrait robot: Marie Remarques
Peau blanche, fraîche, Les femmes du Moyen-Orient
sans rides ou si peu, n’ont pas la peau couleur
joues roses. de lait: le soleil
l’a colorée, le vent et le
sable du désert, endurcie et le temps, ridée rapidement.
Age: entre 15 et 30 ans Les extrêmes sont peu représentés, en particulier Marie est rarement « vieille ». Au cours de la vie publique de Jésus elle devait bien approcher la cinquantaine et elle a très probablement connu la « vieillesse » aux débuts de l’Église.
Longue chevelure A moins que Marie ait.
généralement blonde, utilisé « seul votre coiffeur
châtaine ou d’un brun le sait » ridée rapidement.
clair. elle devait avoir les cheveux noirs comme ceux et celles de sa race.
A part quelques rares Notre regard se porte
exceptions, on voit du sans équivoque sur une
corps de Marie, le mère, une mère revêtue de
visage, le cou, un sein la pudeur de ceux qui
parfois, les mains et les l’ont dessinée.
pieds de temps à autre.
Marie a un regard humble, L’oeil de Dieu ne connaît
pieux, soumis, qui ne nous pas de rivalités. Il est
fixe pas, à l’exception des le seul à nous regarder.
« Marie » de 1’art byzantin.
Marie a des vêtements amples, Marie devait probablement
souples. Depuis ses dernières être pauvrement vêtue,
apparitions, ils sont surtout c’était une femme
bleus et blancs. Sous ses d’ouvrier-artisan après tout.
vêtements on devine un On l’a représentée par moments
« beau corps ». Elle est pleine¸ un peu plus mince ou un peu
de grâce dans 1es deux sens plus ronde selon la mode des
du terme. toujours on époques mais
lui a donné un corps qu’on flairait, qu’on pressentait esthétiquement parfait.
Je voudrais maintenant compléter ce tableau par quelques commentaires.
1 Nous avons la confirmation qu’il y a des « modèles femmes » valorisés, glorifiés dans l’Eglise et que le plus utilisé et le plus répandu c’est celui de Marie.
2- J’émets l’hypothèse que ce modèle va de pair avec la sexualité des Pères de l’Eglise* c’est-à-dire qu’ils ont choisi une femme qui pouvait cadrer avec leur vécu: une femme agréable à regarder mais qui ne provoque pas directement les sens. Une femme non dangeureuse mais qui offre un certain plaisir au « contemplateur ».
3- En fabriquant ainsi Marie, on rayait du réel le corps historique de la femme de Nazareth qui a vécu, enfanté, aimé, souffert, pardonné.
4- Nous sommes directement concernés par cette image parce que c’est celle qu’on nous propose. En niant les aspects les plus historiques de Marie, on nie du même coup notre propre corps. Comme des diables dans l’eau bénite, des hommes d’Eglise se sont battus pour anéantir ce corps « porte de l’enfer », source de mal et de corruption.
Les hommes de l’Eglise sont des hommes qui ont pour règle de s’abstenir de femme. En faisant une croix sur leur désir ils n’ont pu s’empêcher de vouloir amoindrir, diminuer la source de ce désir, parce que nos corps sont interpellation. Parce que nos corps vivants tranchent avec leurs corps d’abstention.
5- Si dans un geste de foi et d’amour nous disons l’importance pour chacun et chacune de vivre sainement, heureusement son corps dans l’Église, nous avons, je pense, nous les femmes de l’Église, à ne pas renoncer à affirmer la réalité, la matérialité de notre corps. En vivant la plénitude de notre condition de femme, nous rendons, je pense, le meilleur service qui soit aux hommes de notre Église.
Noisy le sec, 16 janvier 1978. Marie-Andrée Roy
*Pères de l’Eglise au sens large, d’hier et d’aujourd’hui.