Réaction féministe face aux religieuses abusées
Marie Bouclin, Déborah
J’ai beaucoup d’admiration pour la vie religieuse. J’ai eu le privilège de compter parmi mes amies proches des religieuses qui vivaient leur mission prophétique en se vouant cœur, corps et âme à l’avènement du Royaume. J’avoue que ce sont les confidences de religieuses abusées qui m’ont le plus indignée lorsque je menais ma recherche[1] sur les abus de pouvoir dans l’Église. Il en est de même pour d’autres titres récents[2]. Le colloque de L’autre Parole de 2019 s’est d’ailleurs arrêté sur le cléricalisme comme cause première du dérapage qu’est l’abus sexuel par des prêtres[3].
Soulignons d’abord le tort fait aux victimes[4]. Elles sont meurtries et brisées au plus intime de leur être. Trop souvent, lorsqu’elles dénoncent l’agresseur, la réaction de leurs supérieures manifeste leur impuissance devant le drame et face à leur dépendance des autorités ecclésiastiques. Les victimes se font dire : « Merci de nous avoir alertées, nous prierons pour toi, nous paierons pour ta thérapie et nous n’en parlerons plus. » Loin de se sentir comprises, elles n’obtiennent ni justice ni guérison. Elles doivent réparer elles-mêmes toutes les déchirures à leur sécurité, à leur choix de vie (elles quittent ou sont renvoyées de leur communauté), à leur santé mentale et spirituelle. Certaines, rappelons-le, ont eu à subir des avortements, des infections transmissibles sexuellement et par le sang[5] ou ont été forcées de donner un enfant en adoption. Ne parlons surtout pas de consentement lorsque les victimes ont été « dressées » pour n’obéir qu’au prêtre qui se prend pour Dieu. La victime se retrouve seule parce que, durant le processus de dressage, l’abuseur l’a isolée de ses amies, supérieures et confidentes, semant la méfiance à l’endroit de toute personne sauf lui. La profondeur de la blessure à laquelle s’ajoutent des sentiments de honte et de culpabilité explique l’extrême difficulté de divulguer l’abus ou de dénoncer l’auteur.
À qui peuvent-elles porter plainte ? L’Église, qui se soucie toujours de protéger son image, oblige les victimes à avoir recours aux tribunaux civils où la plaie est rouverte sous le feu des examens, des contre-interrogatoires exigeant détail sur détail, afin de démontrer qu’il s’agissait de relations non consenties et que la victime ne cherche qu’une compensation financière. Sur ce front, rien ne semble avoir changé[6]. Il faut toujours dénoncer les abus de pouvoir, exiger que justice soit rendue et que les coupables soient tenus responsables.
Mais avant, il faut d’abord entourer les victimes d’écoute active, de soins et de compassion. Il faut une formation spécialisée pour accueillir ces confidences et, de l’avis des victimes/survivantes, ni les supérieures de communautés ni les autorités diocésaines ne sont équipées pour le faire. Il manque un système de réhabilitation, indépendant de l’Église et des tribunaux, constitué de personnes ayant une formation professionnelle spécialisée pour cheminer avec les victimes, les aider à restaurer leur dignité, à refaire leur vie et leur prodiguer tous les soins qui feront d’elles des femmes libres et libérées. Ne faudrait-il pas également un forum indépendant des religieuses, calqué sur la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015) pour toutes les victimes d’abus de pouvoir, y compris les religieuses?
En s’inspirant de la Déclaration de l’Union internationale des supérieures générales, une telle commission pourrait créer de nouveaux réseaux d’aide pour mieux comprendre comment ce « schéma d’abus répétitifs » a pu se produire afin de « mettre fin à ces situations déshumanisantes » et aider les victimes à guérir[7].
[1] Marie Patricia EVANS. La codépendance des femmes en Église : comment se relever d’un abus de pouvoir, mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 1998, et Marie EVANS BOUCLIN. Pour vivre debout : femmes et abus de pouvoir dans l’Église, Montréal, Médiaspaul, 2000.
[2] Voir entre autres : Abus en Église, entre crise et espérance, ad vitam, le webzine de la vie consacrée au Canada, automne 2019; Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église, film de M RAIMBAULT et Éric QUINTIN.
[3] Voir L’autre Parole, Les abus sexuels contre les femmes en Église, no 151, mai 2020.
[4] Mes sources, qui sont toutes des femmes sorties de communauté, ont voulu garder l’anonymat. Voir à ce sujet le webinaire de Karlijn DEMASURE. Sexual abuse of women religious: The state of affairs and how to move forward, Université Saint-Paul, Ottawa, mai 2021, https://youtu.be/V2_5l8Tq6RE
[5] Voir https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/itss
[6] Lucetta SCARAFFIA. Féministe et chrétienne, Montréal, Novalis, 2020, p. 191.
[7] Déclaration de l’UISG contre les abus de toutes sortes, http://www.internationalunionsuperiorsgeneral.org/fr/declaration-de-luisg-contre-les-abus-de-toutes-sortes/