Reconstruire des relations d’égalité femme-homme

Reconstruire des relations d’égalité femme-homme

Nathalie Tremblay, Phoebé

À partir des années 1990, les courants de pensée féministes ont intégré et proposé des analyses à partir de la notion du genre. Denise Couture, Anne Létourneau et Étienne Pouliot ont uni leurs efforts pour produire un ouvrage collectif publié en 2020 sous le titre « Égalité femme- homme et genre. Approches théologiques et bibliques »1. Au fil des pages et des contributions, l’ouvrage explore l’intersectionnalité à partir de deux thèmes principaux : l’égalité femme-homme et le genre. La publication de l’ouvrage fait suite au colloque du même nom, organisé conjointement par l’Association catholique des études bibliques au Canada et la Société canadienne de théologie qui s’est tenu en 2017 à l’Université Laval. L’espace qui m’est assigné pour cet article ne me permet pas de faire une analyse approfondie de chacune des contributions. Après un bref survol des thèmes abordés, je me concentrerai sur les contributions de Martin Bellerose et de Pierrette Daviau.

Cet ouvrage, qui ne compte pas moins de seize textes, cherche d’abord à cerner comment les textes bibliques peuvent souligner et aider à comprendre la façon dont le genre peut s’avérer utile pour reconstruire les relations d’égalité femme-homme. Les questionnements soulevés sont nombreux, à titre d’exemples :

Comment construire en toute solidarité, un sens partageable des rapports entre les femmes et les hommes et donc de la justice ? Sur le plan théologique, de quelle égalité parle-t-on dans les églises et les communautés chrétiennes ? […] Comment décrire ce qui persiste et ce qui se transforme quant aux représentations du genre et de la sexualité et ce, jusque dans les écrits du Saint-Siège ? Comment ces représentations affectent-elles la position des femmes dans la famille, dans l’Église et dans la société ? Certains textes bibliques favorisent-ils l’accueil à la différence, le dialogue avec l’autre et pour l’autre, sans oublier l’ouverture à l’autre ? (p. viii-ix)

Les textes sont regroupés autour de quatre sujets : 1) explorations exégétiques, relectures bibliques, 2) fondements autres, qui changent la donne, 3) appels aux Églises, 4) chantiers encore jeunes. À travers cet ouvrage, nous lisons des autrices et des auteurs dans les domaines de la théologie, sciences des religions et études bibliques, poser un regard féministe sur l’interrelation existant entre de multiples facteurs d’oppression.

Martin Bellerose aborde la question de l’accueil des immigrant·e·s, à partir du récit biblique de Rahab (qu’on retrouve dans le deuxième chapitre du livre de Josué). Il propose des pistes pour une pratique de l’accueil des immigrant·e·s, dans un contexte néotestamentaire. Dans la foi chrétienne, Rahab est associée à l’accueil.

Dans la première lettre de Pierre, ce dernier décrit l’hospitalité comme un don :

« Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres, car l’amour couvre une multitude de péchés. Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer. Mettez-vous, chacun selon le don qu’il a reçu, au service les uns des autres, comme de bons administrateurs de la grâce de Dieu, variée en ses effets » (1P 4 : 8-10).

À partir du moment où Rahab a reconnu les soldats comme envoyés de Dieue, elle avait reçu le don de l’Esprit, qui s’est manifesté dans un geste pour protéger les espions. Pour la remercier de son hospitalité, les deux hommes lui promettent la sauvegarde de sa vie et de celles des membres de sa famille lorsque la destruction de Jéricho sera entamée. En d’autres termes, l’accueil prend racine dans une promesse : Rahab protège les espions qui, par la suite, la protégeront de la destruction de Jéricho en l’accueillant comme immigrante parmi le peuple d’Israël. L’hospitalité envers Rahab devient promesse d’une vie nouvelle, la libérant de son passé de personne marginalisée. Comme l’explique Martin Bellerose, cette représentation souligne les enjeux de l’immigration, mais également, les devoirs de l’accueil et les devoirs que l’immigrant·e a envers la société qui lui ouvre les bras (ou ses frontières). Le récit de Rahab réitère que la foi doit s’incarner dans l’action pour qu’on puisse réellement parler de foi.

La deuxième contribution qui a retenu mon attention est celle de Pierrette Daviau qui explore dans un chapitre du même titre la question du « genre et l’écospiritualité : quelques enjeux théologiques » associés. La thèse développée par Pierrette Daviau dans ce chapitre propose un éclairage sur l’urgence de repenser la théologie. Le christianisme a parfois servi de discours justifiant la domination de certains groupes sur d’autres. Il y a un lien de causalité entre la domination des femmes et l’exploitation des ressources naturelles par le système capitaliste, dirigé par les hommes. Comme les femmes sont les premières victimes des changements écologiques, elles sont plus portées à s’impliquer dans les actions de solidarité de lutte pour une justice environnementale et à dénoncer les valeurs du groupe des dominants.

« L’écospiritualité appelle à un changement de paradigme. Ce changement suppose un travail d’unification intérieure, l’adoption de valeurs comme le respect, la douceur, l’humilité, la gratitude, la sobriété, la justice, le dialogue, la compassion. Il faut retrouver de toute urgence ces qualités en chacun de nous, hommes et femmes ; elles constituent autant d’antidotes aux valeurs promues par le paradigme anti-écologique et patriarcal de la modernité occidentale » (p. 317).

Pierrette Daviau, tout en synthétisant les apports de théologiennes sensibles à l’écoféminisme et à l’écospiritualité (Rosemary Radford Ruether, Elizabeth T. Johnson, Ivone Gebara, Heather Eaton) invite à repenser l’ensemble de nos relations. Certes, si plusieurs actions sont possibles, les théologiennes portées par l’écoféministe/l’écospiritualité privilégient la redécouverte de l’écospiritualité, mais aussi la collaboration avec les traditions spirituelles qui ont toujours fait une grande place au pouvoir des femmes, à entrer en dialogue avec l’univers qui nous entoure, à reconnaître l’omniprésence du divin, à faire preuve d’ouverture envers la sagesse. Le défi ? Mettre la main à la pâte pour reconstruire un monde meilleur ensemble au nom de la justice, afin de réduire les inégalités basées sur le genre, la race, la culture, mais peut- être aussi, de faire place à une théologie de la création renouvelée. Si nous sommes toutes et tous égaux·ales devant Dieue, à l’ère où se fait sentir l’impact des migrations massives, de la surconsommation, des changements environnementaux, le message biblique mérite d’être relu, réinterprété, réécrit, pour devenir agent de changement, tout comme le font les membres de la collective L’autre Parole depuis plus de 45 ans !

À mes yeux, le livre collectif « Égalité femme-homme et genre. Approches théologiques et bibliques » a le mérite de mettre en lumière les contributions de plus en plus nombreuses d’auteur·rice·s du Québec en théologie, sciences des religions et études bibliques. C’est une lecture qui permettra à chaque lectrice d’y trouver son compte. Si certains textes demandent des connaissances plus approfondies en théologie, il demeure que la plupart des textes sont d’une grande richesse et permettent une lecture contemporaine des textes bibliques tout en soulignant les apports du genre et du féminisme à une relecture de la Bible. Bonne lecture !

 

1 Égalité femme-homme et genre. Approches théologiques et bibliques. Denise Couture, Anne Létourneau, Étienne Pouliot, (dir.), Peeters, 2020, 380 pages.