No. 39 – ELLES BÂTISSENT LÉGLISE…

ELLES BÂTISSENT L’ÉGLISE

Nous avons demandé à quelques-unes de nos amies de nous parler de leurs pratiques dans cette Église où le visible, l’apparent, le public, le décisionnel s’accordent souvent au masculin. Nous ne faisons pas un inventaire exhaustif de ces pratiques, le modeste format de notre revue nous en empêche; nous vous en donnons tout juste un bref écho qui évoque à peine la pointe de l’iceberg!!

Pourquoi parler des pratiques des femmes? Plusieurs motifs nous animent. Il importe premièrement de contrer l’oblitération que subissent les femmes dans l’Église. En effet, la répartition des tâches qui y prévaut implique souvent une armée d’exécutantes pour un petit bastion de dirigeants et rend rarement justice à l’apport des femmes dans tous les secteurs de la vie ecclésiale. La structure hiérarchique cléricale fait également écran aux différentes compétences que les femmes mettent au « service » de cette institution. Il faut rendre visibles ces contributions pour que nous ayons, nous les femmes, une image différente de nous-mêmes, et pour qu’il soit clair aux yeux de tous les membres de la communauté que l’Église dépend largement de notre travail. Nous faisons l’Église. Nous sommes l’Église.

À L’autre Parole, nous croyons au pluralisme. Comme chrétiennes et comme féministes nous avons un discours et des pratiques qui correspondent à notre analyse de la situation et à nos objectifs de transformation de la vie ecclésiale. Par ailleurs, nous ne pensons pas détenir la seule manière valide d’agir, de faire, de penser pour transformer cette institution en communauté de disciples égaux. Nombre de femmes chrétiennes et féministes abattent un travail gigantesque pour tâcher de tailler une place aux femmes, à toutes les femmes. Nous avons voulu, en signe concret de sororité et de solidarité, faire écho à cette formidable entreprise de transformation.

Par dessus tout, nous pensons qu’il faut que les femmes puissent débattre, réfléchir ensemble, qu’elles se questionnent mutuellement. Les différentes approches, les stratégies variées, au lieu de diviser les femmes, doivent être lues comme autant de signes de leur intelligence, de leur créativité, de leur autonomie. Certaines sont possiblement plus rentables à court terme, d’autres à long terme, certaines peuvent avoir des effets non souhaités ou encore imprévus. Les opinions divergent à ce sujet. Mais ne pouvons-nous pas affirmer qu’il existe, dans notre conscience collective féministe, la profonde conviction que l’avènement de l’égalité nécessite l’engagement de toutes?

Faisons quelques observations maintenant sur la réalité des intervenantes. Premièrement, la pauvreté des moyens dont elles disposent: du papier, quelques crayons, leurs dix doigts et toute leur imagination. La plupart ne possèdent pas la panoplie des outils auxquels ont accès les instances administratives au pouvoir: service informatisé, centre de documentation, bibliothèque, service de presse, salles de réunions, budgets de déplacements, photocopieurs, etc. Leur budget ne permet ni les grandes actions d’envergure, ni l’établissement d’un important réseau autonome de communication entre femmes, ni l’embauche du personnel suffisant pour mener à bien leurs actions.

Quand elles ont accès aux ressources institutionnelles, c’est souvent à la suite de pressions importantes; ces ressources sont habituellement accordées avec parcimonie (il y a tellement de priorités autrement plus urgentes!) et demeurent constamment à renégocier. Sans oublier que plus l’accès aux ressources est grand, plus les « solidarités » institutionnelles peuvent être contraignantes.

Au plan axiologique, on pourrait dire que les femmes donnent naissance à un modèle organisationnel alternatif. On peut observer pas mal d’ingéniosité, un formidable sens de la débrouillardise, une étonnante capacité de faire beaucoup avec peul Le système « D » ça les connaît! Leurs activités ne coûtent pas cher, elles confectionnent souvent tout elles mêmes. Le croisement de la générosité, de la disponibilité et de la créativité permet la mise en place de nouvelles ressources pour les femmes. On note une volonté de se regrouper, de travailler collectivement; elles cherchent à se répartir les tâches, à se partager les responsabilités. Elles apparaissent peu friandes des modèles autoritaires et centralisateurs d’organisation! Elles accordent souvent beaucoup d’importance aux liens qui les unissent. Un esprit de convivialité prévaut dans ces rencontres où, à leurs heures, elles font preuve d’humour.

Mais reste, qu’au quotidien, les femmes apparaissent passablement isolées. Les organisations autonomes parviennent difficilement à tenir à long terme. On ne compte plus le nombre de petits groupes qui naissent, affrontent rapidement l’essoufflement,
la désillusion et qui meurent faute de moyens. Faut-il rappeler aussi que les femmes continuent de porter le fardeau de la double journée de travail et disposent de peu, d’énergies pour une pleine implication à la transformation de leur condition dans l’Église?

Plus que jamais il semble nécessaire que les femmes renforcent leurs liens de solidarité entre elles, qu’elles unissent leurs forces, leur courage pour transformer l’iniquité en justice, la discrimination en égalité. Dans la préservation de nos autonomies respectives, et le partage de notre utopie chrétienne et féministe, il importe que nous poursuivions la construction de cette ekklésia des femmes, signe de l’accomplissement du Magnificat.

Marie-Andrée Roy