SACRÉE ÉVOLUTION!
Lise Durocher
Si quelqu’un m’avait dit, en 1987, que je deviendrais une fan de l’Internet, je lui aurais ri au nez en répondant que c’était impensable et impossible. Je dis 1987, parce qu’avant ce temps, je n’avais jamais pensé me servir d’une machine à écrire. J’avais une formation d’enseignante et à cinquante-trois ans, j’avais toujours écrit mes textes proprement, à la plume fontaine.
Cet hiver là, pour passer le temps, j’avais commencé à écrire des petits textes. J’ai donc récupéré l’ancienne machine à écrire de mon beau-père, une Remington Rand à bras de nickel pour ramener le chariot à gauche. En autodidacte, j’ai commencé à explorer le clavier, ses touches et à découvrir comment on fait les accents. Avec l’index, j’ai pris un peu de vitesse et j’ai rédigé un brouillon de quelques centaines de pages : l’ébauche d’un roman inspiré par l’histoire des femmes de ma famille.
Quelques années plus tard, ma fille, qui ne travaillait plus que sur ordinateur, me refila sa Brother Profile Automatique 12 sur laquelle je réussissais à écrire de beaux textes, même s’ils étaient parsemés de taches blanches de liquide à effacer. J’ai tapé quelques centaines de pages que j’ai dû corriger et recorriger.
Puis, ma fille finit par me convaincre de me procurer un ordinateur. Ma nature hésitante me faisait remettre sans cesse à plus tard une telle décision. C’est mon mari qui en prit l’initiative. Alors que nous revenions de chez ma fille, il m’amena chez le marchand d’appareils électroniques d’où je sortis avec un ordinateur tout neuf. Une fois installée, j’explorai encore les secrets de cette machine intrigante. Avec bonheur, j’ai découvert qu’on pouvait corriger sans rature, qu’on pouvait couper des paragraphes, les coller ailleurs, dérouler les pages, et tout le reste. L’automne suivant, j’ai voulu approfondir un peu ma technique et j’ai pris un cours au CEGEP pour en apprendre davantage.
Étant donné que mes enfants ainsi que mes sœurs qui vivent loin de moi, étaient tous branchés sur Internet, on m’incitait à le faire moi aussi. J’avais une bonne excuse pour retarder ce projet de deux ans : je ne voulais pas me laisser distraire par autre chose que les quelques cinq cent pages du roman sur lequel j’avais travaillé toutes ces années. Pourtant, cela m’intéressait même si je trouvais le moyen de communication froid, compliqué, difficile à apprendre, encore… Mon travail enfin achevé, je me suis dit : « Si d’autres le peuvent, je le pourrai aussi. » On vint donc m’installer Internet.
Je fus d’abord étonnée par tout ce que je pouvais faire et déjà surprise de n’être pas trop dépassée par toute cette technique, pas trop embrouillée dans tous ces petits détails que je devais retenir et suivre à la lettre. Mais j’aimais ça sans bon sens!
Comme de raison, le technicien trouva mon ordinateur désuet et ma fille corrobora ses dires. J’ai donc dû rajeunir mon appareil et transférer tous mes écrits d’un logiciel de traitement de texte à un autre, plus récent. Avec l’aide de ma fille et beaucoup de patience, j’en viens à bout un peu à chaque jour.
Ce qui m’enthousiasme le plus, c’est que ce moyen de communication que je pensais froid et sans interaction, est devenu dans mon esprit un mode de rapprochement, à tous instants, avec ceux et celles qui sont éloignés de moi. Facilement, nous échangeons nos idées, nos intentions, des images et des histoires très intéressantes. Oui, vraiment je suis contente d’avoir pu assimiler autant de détails. J’ai toujours hâte de regarder ce que me réserve ma boîte de réception, ce que je peux découvrir grâce à Google. Moi qui ne voyais certains neveux qu’une fois par année, je peux maintenant leur envoyer des messages aussi souvent que j’en ai envie. Je pourrai souligner leur anniversaire et leur transférer les magnifiques images dont on m’abreuve régulièrement.
Mais ma plus grande satisfaction est de constater à quel point j’ai pu évoluer. Je suis fière de moi. J’aurai soixante-douze ans bientôt et je me pensais incapable de mémoriser ces dizaines de petites opérations que je dois maîtriser pour être efficace. Je n’aurais jamais imaginé être aussi motivée et même excitée, à ce point. Et je m’en réjouis. Je viens de découvrir un loisir qui remplira le reste de mes jours, si Dieu le veut.
C’est sûr qu’il me reste beaucoup de choses à explorer encore. De fait, cela me paraît infini. Mais déjà, mon appréhension est disparue et je n’y vois maintenant plus que les avantages. Aujourd’hui je suis très contente de ma décision. Je trouve que les journées ne sont pas assez longues. Je veux quand même être raisonnable et me méfie de devenir une «accro».
Et quand je veux me récompenser d’avoir bien écrit, bien corrigé, bien communiqué, bien recherché, je me fais une petite partie de Scrabble contre la machine. Je gagne très souvent et cela me permet d’améliorer mon jeu afin d’affronter mes voisines, en chair et en os celles-là!
Ce sont des nouveaux petits bonheurs qui me font du bien.