SUR LA TERRE DE LA TERANGA
Mélany Bisson, Bonne Nouv’ailes
J’entends encore la foule, qui hurle la victoire sur les Français dans les rues de Dakar, lors de la Coupe du monde de football (soccer). Toujours très expressives, les Sénégalaises pleuraient leur joie d’une dignité retrouvée sur le colonisateur. Ce fut une expérience inoubliable sur la terre de la Teranga. (Terre d’accueil).
Le stage
J’entrepris mon stage dans les Centres de nutrition communautaire (CNC) situés dans les zones de Pikine, de Guédiawaye, Thiaroye et de Guinaw Rails. Ces quartiers défavorisés se sont construits spontanément sans infrastructures sanitaires de base. Les inondations sont fréquentes, voire inévitables et provoquent, en conséquence, la formation d’eaux stagnantes. Après une pluie, il m’est arrivé de ne plus savoir comment me rendre à mon lieu de stage puisque les ruelles étaient bloquées par l’eau. Je suis arrivée tout de même à enjamber les marres à l’aide des pierres que la communauté avait ingénieusement placées ça et là pour se frayer un chemin et pouvoir ainsi vaquer à ses occupations habituelles.
Issus du Programme de nutrition communautaire du gouvernement sénégalais, les (CNC) ont été mis sur pied en 1994, afin de lutter contre la malnutrition. L’objectif du programme est d’améliorer la sécurité alimentaire dans les zones pauvres. De Dakar à Fatick, de Mbour à Saint-Louis, de Ziguinchor à Kolda, les CNC, dont le nombre est estimé à plus de 183, sont situés dans plusieurs régions du Sénégal. Les centres ont pour but d’améliorer l’accès à l’eau potable, d’enrayer la malnutrition des enfants en bas âge par l’éducation nutritionnelle et sanitaire dispensée aux mères de famille. Plusieurs activités sont offertes : ateliers de formation, distribution gratuite d’un supplément alimentaire pour les enfants malnutries en bas âge et une garderie pour les enfants d’âge préscolaire.
Chaque semaine, je changeais de CNC afin d’avoir une vue d’ensemble de ce que le programme offrait comme service. Les nombreux déplacements, que cela exigeait, ne me rendaient pas la tâche facile. Je devais êtes très observatrice et me trouver des points de repère très rapidement pour ne pas me perdre dans ces quartiers où les ruelles sont étroites et où les taxis ne se rendent pas. Heureusement, j’ai pu compter sur les gens des CNC pour m’indiquer la route à travers ces innombrables chemins. Portant fièrement les couleurs des Lions de la Teranga (L’équipe de football du Sénégal), je me suis fondue dans la masse comme si j’étais l’une des leurs, à la couleur près. Le fait de changer de lieu de stage continuellement ne me plaisait guère puisque je ne pouvais pas vraiment tisser de liens avec les femmes de la communauté locale. Et Dieu seul sait, comment les relations sont importantes au Sénégal. J’ai senti quand même, malgré tout, un début de lien de confiance se tisser entre moi et les femmes de la localité qui venaient avec leurs enfants au CNC. À chaque endroit, je partageais les tâches que les intervenants avaient à effectuer : peser les enfants, donner les suppléments alimentaires, participer aux formations et garder les enfants. Je me rappellerai toujours les pleurs des bébés lorsque je m’approchais d’eux pour les déposer sur la balance et le sourire des mères me signifiant que ce n’était pas grave. Ces enfants n’avaient jamais vue de fantôme auparavant !
Mis à part mon travail aux CNC, je suis allée à l’Université de Dakar pour y rencontrer une professeure d’histoire, faisant partie comme moi, de l’Association féministe internationale des femmes diplômées des Universités. J’avais pris contact avec elle avant d’arriver au Sénégal.. Rencontrer, à l’autre bout du monde, une femme qui a les mêmes références intellectuelles que soi, .me fut une expérience inoubliable. Nous n’étions pas toujours d’accord, mais cela importait peu puisqu’elle était avant tout ouverte au dialogue qui tisse des liens et œuvre pour la paix.
J’ai eu également l’occasion d’aller au Comité de lutte contre les violences faites aux femmes du Sénégal (CLVF). Créé en juillet 1996, par différentes organisations de défense des Droits Humains et diverses Associations de la promotion des femmes, ce Comité a comme responsable principale une femme qui a la charge de coordonner les activités au sein du Comité qui réunit pratiquement tous les organismes féministes et féminins du Sénégal. Leurs objectifs principaux sont de mettre fin aux violences faites aux femmes et de soutenir les femmes victimes de violence par des actions concertées. Ce fut pour moi une expérience très brève mais tout de même inoubliable. J’ai pu rencontrer des femmes sénégalaises venant de divers milieux socio-économiques,(de docteure en anthropologie à responsable communautaire) pour la promotion des femmes. La diversité était de mise, ainsi qu’une prise de parole possible à chacune.
Le bilan
Expérience de croissance
Être femme, pour moi, m’amène à devenir un sujet à part entière, une entité propre, et non le pâle reflet des besoins et désirs d’un seul sexe. Être une femme, c’est également, être liée aux autres femmes comme le dit le slogan «Le personnel est politique». L’expérience personnelle des femmes sert à analyser la situation commune des femmes (politique). Les divers problèmes personnels que vivent les femmes deviennent des problèmes communs et politiques. Je ne suis pas seule mais avec elles. Sortir les femmes de l’isolement, ne pas se sentir seule mais liée les unes aux autres permet de revendiquer des transformations sociales. C’est une question de mouvement de soi vers l’autre, du personnel au politique.
Expérience de société
Les instances religieuses exercent un pouvoir sur les femmes et vont jusqu’à légitimer la violence faite aux femmes. Je pense ici à la nécessité du Comité de lutte contre les violences faites aux femmes. Au nom de quoi mutile-t-on les femmes en brousse sénégalaise? L’impact du discours religieux sur la condition des femmes entrave la liberté de choix et d’action des femmes sénégalaises et définit de façon patriarcale la nature de la femme, afin de légitimer son statut de subordonnée.
Expérience de solidarité internationale
Je crois que l’avenir féministe est dans le multiculturalisme, dans la diversité. Mon expérience de solidarité internationale se traduirait par le fait d’avoir rencontré des féministes – ou des femmes pour qui la condition féminine importe – portant d’autres réflexions. Être solidaire se traduit par le fait de ne pas se positionner les unes contre les autres mais plutôt de voir des liens entre les positions féministes ou féminines sans toutefois penser que telle ou telle position est la meilleure ou la plus avancée. Il s’agit d’ouvrir le dialogue et non de le rompre en s’opposant les unes aux autres. Être solidaire, c’est faire le choix personnel et politique d’ouvrir le dialogue et d’en faire ressortir les liens afin de contrer la logique de séparation, une logique de guerre.
S’il y avait à conclure…
La cause des femmes reste pour moi celle que je supporterai jusqu’à mon dernier souffle. J’en suis plus que convaincue. Ce qui m’importe, c’est d’avoir trouvé un lieu de dialogue interspirituel et féministe qui permet de créer des liens entre les femmes pour ouvrir une pluralité de moyens d’action. C’est une logique de paix, un plan féministe qui instaure une solidarité, une sororité entre les femmes d’ici et d’ailleurs.