TÉMOIGNAGE
Hélène Saint-Jacques
Pour qui que ce soit, perdre la santé s’avère une épreuve, voire une tragédie.
Confrontés à la dure réalité d’une altération de sa santé ou de celle d’un proche, pour plusieurs le temps s’arrête et les années vécues sombrent dans l’inutilité. Qu’on le veuille ou non, la maladie se révèle un phénomène déstabilisateur qui hypothèque le lendemain.
Qu’arrivera-t-il maintenant ? Où trouver l’énergie et la force suffisantes afin de traverser cette épreuve qui, désormais, exige discipline et privation quotidiennes ? De quelle dose de détermination aura-t-on besoin devant l’exigence des traitements et des effets secondaires à supporter ? Comment se préparer émotivement à un éventuel abandon par les siens qui ne peuvent souffrir un handicap, une dégradation physique, un trouble neurologique ou mental chez l’autre ? Comment ne pas tomber dans l’isolement et la désespérance ? Dans l’angoisse les questions se bousculent et les repères manquent.
En étant infirmière de profession, je fus maintes fois témoin de l’effondrement de certains malades et de leurs proches confrontés à un diagnostic médical préoccupant. Aujourd’hui encore, j’ai mémoire de certaines gens, le plus souvent jeunes ou dans la force de l’âge, qui ont abordé avec courage et dignité la lutte à mener afin de vaincre la maladie ou au moins s’en accoutumer. Une fois que la personne malade prend conscience de son état réel et par conséquent de sa précarité, elle entre le plus souvent dans une phase de force intérieure qui la maintient sereine malgré les difficultés à affronter.
Permettez-moi de partager ici avec vous une expérience que j’ai vécue au début de ma pratique infirmière. C’était dans les années 1970. On hospitalise dans mon service une femme quinquagénaire dont le diagnostic clinique indique un cancer des ovaires en phase terminale. À son arrivée, le visage de la patiente est crispé, sa respiration laborieuse et son abdomen gros et dur. Lors de la mobilisation elle laisse échapper des gémissements de douleur. Les enfants sont attristés de devoir hospitaliser leur mère.
Malgré la médication et les soins de confort apportés à la patiente, sa douleur n’était que partiellement soulagée. Lorsque j’étais à son chevet, elle me racontait son inquiétude concernant l’avenir de ses filles et craignait que son mari ne puisse se débrouiller seul à la maison. Elle gardait toujours son chapelet sous l’oreiller, et malgré la gravité de sa maladie, elle me disait sa foi en Dieu. La douceur et la sérénité que dégageait cette femme qui n’avait jamais été malade produisait aussi en moi une sorte d’apaisement.
Puis au fil des jours, son visage s’est détendu, sa respiration s’est apaisée. Elle dormait beaucoup. Au matin du 31 décembre, entourée de son mari et de ses deux filles, elle rendit, tranquille, son dernier souffle. Dans sa chambre régnait un calme qui donnait la sensation que le temps venait de s’arrêter. Dehors, c’était l’hiver et le soleil brillait de tous ses feux. J’ai alors ressenti la profondeur du mystère dont l’être humain est habité. À partir de ce moment – là, j’ai refusé de consentir à l’idée des possibles bienfaits de l’euthanasie.
J’ai soigné avec compassion nombre de malades tout au long de ma carrière et j’ai pu constater que malgré sa fragilité dans la maladie chaque humain porte en lui un mystère dont seul le soi connaît le secret. Qu’un patient coopère ou non aux traitements nécessaires à sa guérison, il n’en demeure pas moins que l’harmonie du corps et de l’esprit apparaît indispensable pour supporter dans la sérénité tous les tourments engendrés par la perte de la santé.