LA LONGUE MARCHE DE LIBÉRATION DES FEMMES

LA LONGUE MARCHE DE LIBÉRATION DES FEMMES

 

Marie-Rose Majella et Marie-Andrée Roy – Vasthi

 

Sens de la célébration:

À LA MANIERE du peuple hébreu qui a quitté l’Egypte, terre d’oppression, et qui a marché 40 ans dans le désert, nous, les femmes, vivons une longue marche de libération. Nous sommes en route, notre périple est loin d’être terminé. Mais nous avons quand même le goût de célébrer ces étapes de transformation de nos vies aux plans personnel et collectif.

 

Nous, les marcheuses, traversons le désert patriarcal avec un bâton qui ponctue notre marche, qui nous sert de point d’appui et d’instrument de résistance. Nous rencontrons des oasis de paix, de solidarité où nous pouvons refaire nos forces. Notre célébration est marquée par le passage dans cinq oasis où nous prenons le temps d’écouter l’écho des souffrances et des joies du peuple hébreu et où nous nous racontons les pratiques de libération des femmes d’ici.

 

Cette célébration nous réunit autour de cinq symboles: la lumière, l’encens, le pain sans levain, l’hydromel et le chocolat pour évoquer la douceur de la sororité. Elle est marquée par deux temps d’interventions spontanées sur les sources de nos inquiétudes et de nos espérances.

 

Nous avons vécu cette célébration dans une chapelle. Il s’agissait pour nous d’une première expérience de réappropriation d’un espace sacré.

 

Déroulement de la célébration:

Accueil à l’entrée de la porte de la chapelle. La flamme pascale est déjà allumée. En remettant à chacune un bâton et une chandelle, la célébrante prononce ces paroles:

 

Puisse ce bâton t’aider à diriger tes pas dans cette longue marche dans le désert et que cette flamme à laquelle tu t’alimentes soit source de force.

 

Chacune va allumer son cierge à la flamme pascale.

 

Puis la célébrante invite les participantes à se diriger vers l’avant. En silence, on écoute un extrait du Messie de Handel: He was despised, interprété par Maureen Forrester! . Ce chant est un rappel de la passion du Christ et nous met en contact avec nos propres souffrances.

 

La communauté des marcheuses entreprend son périple vers la première oasis.

 

Premier oasis –

Le symbole: Dans une vasque remplie de sable, les marcheuses déposent leur cierge allumé.

 

Commentaire de la présidente:

 

Dans la nuit de notre désert, ces flammes réunies nous donnent un éclairage suffisant pour nous permettre de discerner la route à suivre. Elles constituent une sorte de phare qui nous guidera tout au cours de notre marche. Ces flammes nous rappellent aussi que le Christ est lumière du monde.

 

Lecture du premier texte – Extrait adapté du Psaume 3, versets 2 à 7

 

Seigneur, qu’ils sont nombreux mes oppresseurs

nombreux ceux qui se lèvent contre moi,

nombreux ceux qui disent de mon âme:

« Point de salut pour elle en son Dieue! »

 

Mais toi, Seigneur, bouclier qui m’entoures

ma gloire! tu me redresses la tête.

A pleine voix je crie vers le Seigneur,

il me répond de sa montagne sainte.

 

Et moi, je me couche et m’endors,

je m’éveille: le Seigneur est mon soutien.

Je ne crains pas ces gens par milliers

postés de toutes parts contre moi.

 

Lecture d’un extrait de la Lettre de L’autre Parole de Matane

 

A notre amie Pauline que nous aimons,

 

 

Ton intervention au Colloque « Solidarité quand tu nous tiens », à Ste-Luce-sur-Mer, nous a grandement réjouies.

 

Nous admirons ta vigilance face au patriarcat omniprésent, comme le démontre ton implication au Comité de la Condition féminine du diocèse de Rimouski. Tu es ouverte aux besoins des femmes. Dans ton projet « la Popote collective », on te sent préoccupée par la qualité de vie des victimes de la pauvreté. Tu nous entraînes dans le sillage de l’amour libérateur.

 

Nous souhaitons pouvoir continuer à vivre avec toi une solidarité de plus en plus

grande.

 

L’Ekklésia des femmes reprend la route en direction de la deuxième oasis.

 

Deuxième oasis.

 

Le symbole : l’encens. Chaque participante reçoit un bâton d’encens qu’elle allume et va déposer dans la vasque avec les cierges.

 

Commentaire de la présidente:

 

Comme les mages à la naissance du Christ, nous utilisons ce soir l’encens en signe d’action de grâce et de louanges au Seigneur. Ces effluves parfumés avivent nos sens pour la poursuite de notre marche de libération.

 

Lecture d’un extrait adapté d’Esaie 60, versets 15,16 et 17b.

 

Au lieu que tu sois abandonnée,

je ferai de toi la fierté des siècles,

l’enthousiasme des générations et des générations.

 

Tu suceras le lait des nations,

tu dévoreras la richesse des rois,

et tu sauras que ta libération,

c’est le Seigneur

que celui qui te rachète,

c’est l’Indomptable de Rachel.

 

J’instituerai pour toi en guise d’inspection, la Paix en guise de dictature, la Justice.

 

Lecture d’un extrait de la Lettre de Bonnes Nouv’Ailes

 

A vous toutes, qui êtes « debouttes » femmes d’ici et femmes d’ailleurs, nous rendons hommage à votre lucidité, à votre ténacité et à toutes vos audaces.

 

Que ce soit dans vos cuisines collectives, vos coopératives, vos groupes de femmes, vos conversations les plus intimes et les autres, vos manières de faire nous enrichissent à plusieurs égards.

 

Vous savez entendre les souffrances des femmes les plus démunies et créer avec elles des conditions qui leur permettent de retrouver leur dignité. Vous appartenez à la vérité. Vous la faites circuler sans contrôler l’issue de votre aventure.

 

Vous défiez les structures et les dogmes patriarcaux dont les logiques entravent les alternatives que vous proposez. Vos aqudaces sont contagieuses; elles contribuent à vivifier le tissu humain de la grande communauté TERRE.

 

Nous saluons particulièrement les intervenantes de PASSAGES à Montréal, cette maison d’hébergement pour jeunes prostituées. Elles nous ont reçues amicalement et elles ont partagé avec nous leur expérience de résistance.

 

Quant à Luz, une Nicaraguayenne, nous espérons que ses projets pour l’association des femmes sans emploi à Esteli, aient toute l’envergure souhaitée.

 

Nous, de Bonnes Nouv’ailes avons été émerveillées par le mode d’être des femmes qui osent…

 

Femmes debouttes!

 

L’Ekklésia des femmes se dirige vers la troisième oasis.

 

Troisième oasis.

 

Le symbole: le pain sans levain. Distribution de pain sans levain à toutes les participantes.

 

Commentaire de la présidente:

 

Ce soir nous faisons mémoire de ces femmes qui, le soir de leur départ précipité d’Egypte, n’ont pas eu le temps de faire lever le pain. Nous reprenons également le geste de Jésus qui à la veille de sa passion a dit à ses disciples réunies (is): Prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous.

 

La communauté mange le pain sans levain.

 

Lecture d’un extrait adapté du Psaume 142, versets 2 à 7.

 

Prière d’une persécutée.

Au Seigneur mon cri! J’implore.

Au Seigneur mon cri! Je supplie.

Je déverse devant lui ma plainte,

ma détresse, je la mets devant lui,

alors que le souffle me manque;

mais toi, tu connais mon sentier.

 

Sur le chemin où je vais

ils m’ont caché un piège.

Regarde à droite et vois,

pas un qui me connaisse.

Le refuge se dérobe à moi,

pas un qui ait soin de mon âme.

 

Je m’écrie vers toi, Seigneur,

je dis: Toi, mon abri,

ma part dans la terre des vivants!

Sois attentif à ma clameur,

je suis au fond de la misère.

 

La présidente invite les personnes à faire entendre leur clameur, à dire à voix haute leurs souffrances.

 

Lecture d’un extrait de la Lettre de Myriam

 

Nous, du groupe Myriam, réunies en ce 15 août 1992, à Sainte-Luce-sur-Mer, saluons les femmes des regroupements tels que: RESO, ÉIIXIR, PASSAGES, la POPOTE COLLECTIVE, RELAIS-FEMMES, LES CUISINES COLLECTIVES, le CENTRE D’AIGUILLAGE, les ATELIERS PLEIN SOLEIL qui, de Matane à Montréal en passant par Sherbrooke, travaillent à la transformation de leur vie quotidienne.

 

Nous avons reconnu l’ingéniosité que vous avez déployée pour arracher les femmes à leur isolement, à leur pauvreté, à leur insécurité financière et à leur mise à l’écart des lieux de pouvoir. Vous leur avez rendu la conscience du rôle qu’elles peuvent jouer dans leur milieu malgré la précarité de leurs moyens et la fragilité de leur situation.

 

Votre stratégie qui privilégie les interventions à la base remet en cause le système établi et prouve l’efficacité des rapports humains fondés sur l’égalité et lediscernement collectif.

 

Ensemble, il faut se demander comment éviter de se laisser récupérer par un système qui a trop longtemps compté sur le bénévolat des femmes pour pallier ses insuffisances et son inaction ? Comment s’attaquer aux causes socio-politiques des problèmes dont on s’épuise à soigner les effets néfastes?

 

Puissent l’individualisme et la discrimination céder la place à la justice et à la solidarité.

 

Lentement, les femmes poursuivent leur périple dans le désert pour se rendre à la quatrième oasis.

 

Quatrième oasis

 

Le symbole: l’hydromel. On présente à chaque participante un verre d’hydromel.

 

Commentaire de la présidente

 

Dans les religions anciennes, l’hydromel était réputé être la boisson des déesses. La pythie, au moment de rendre les oracles à Delphes, en consommait. L’hydromel sert à délier les langues pour oser énoncer la promesse de la libération. Ce soir, l’hydromel sera la boisson des femmes chrétiennes et féministes qui reprennent les paroles qu’à la veille de sa passion, Jésus a dit à ses disciples réunies(is): Prenez et buvez, ceci est mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude.

 

Lecture d’un extrait adapté du Psaume 25, versets 6 et 7

 

Seigneur, pense à la tendresse et à la fidélité

que tu as montrées depuis toujours!

Ne pense plus à mes limites,

pense à moi dans ta fidélité,

à cause de ta bonté, Seigneur.

 

Lecture de la Lettre de Vasthi à l’Ekklésia des femmes.

 

Réunies sur les rives du Saint-Laurent, nous féministes et chrétiennes avons entendu avec émotion le récit de la mise en place d’audacieuses pratiques de libération, pratiques ancrées dans la quotidienneté des femmes.

 

. Elles veulent rompre avec l’exploitation de leur corps et de leur force de travail. 

. Elles veulent contester les lois oppressives qui nient leur dignité.

. Elles veulent se libérer de l’asservissement à l’alcool et aux drogues.

. Elles veulent créer de véritables emplois qui assurent leur autonomie financière, enfin une nouvelle culture de solidarité et d’entente.

 

Ces récits nous ont rappelé qu’il s’agit non seulement de répondre aux cris de détresse, mais de changer l’ordre structurel des choses. La concertation, la détermination, la solidarité nous sont apparues comme les principaux outils de cette transformation.

 

L’analyse de la situation nous interroge sur nos limites et raffermit notre volonté de poursuivre nos luttes pour une plus grande justice. Ainsi, nous vivrons aujourd’hui ce que nous espérons pour demain.

 

Nous nous dirigeons vers la cinquième oasis, dernière étape de cette célébration.

 

Cinquième oasis

 

Le symbole: le chocolat. On passe aux participantes un plateau de chocolat.

Commentaire de la présidente

 

Tout comme les Hébreux consommaient avec plaisir des dattes et du miel, nous, nous dégustons cette bouchée qui évoque la douceur de la vie et le plaisir des sens. En même temps, le chocolat est très énergétique et nous dynamise pour la poursuite de notre route dans le désert car même si nous connaissons des oasis, la grande marche de libération n’est pas terminée.

 

Lecture d’un extrait adapté du Psaume 146, versets 3 à 10

 

Ne comptez pas sur les princes,

ni sur les hommes incapables de sauver:

leur souffle partira, ils retourneront à leur poussière

et ce jour-là, c’est la ruine de leurs plans.

 

Heureuse qui a pour aide le Dieue de Rachel,

et pour espoir la Sagesse divine!

 

Auteure de la terre et des cieux,

de la mer, de tout ce qui s’y trouve,

elle est l’Eternelle gardienne de vérité:

elle fait droit aux opprimées,

elle donne du pain aux affamées;

 

la Sagesse délie les prisonnières,

elle ouvre les yeux des aveugles

redresse celles et ceux qui fléchissent

la Sagesse aime les justes

elle protège les émigrées

elle soutient l’orphelin et la veuve,

mais déroute les pas des méchants.

 

La présidente invite les personnes à faire entendre leur détermination à poursuivre leur marche de libération et à dire à voix haute leur espérance.

 

Lecture d’un extrait de la Lettre de L’autre Parole de Rimouski aux femmes de chez nous

 

Vous dénouez l’écheveau des traditions avilissantes

pour retrouver le fil de votre potentiel

et monter la trame de vos pratiques collectives.

 

Vous qui pétrissez le pain,

nourriture du corps,

symbole universel de la vie,

vous nous apprenez la patience

pour transformer la matière première

et la confiance dans le levain de la fournée.

 

Vous qui combattez la mer et son domaine

pour en tirer des filets bien garnis

vous nous montrez la force qui vous anime

contre vents et marées.

 

Vous qui labourez la terre de roches

pour y semer l’espoir de la récolte abondante

vous nous apprenez l’ardeur

à vous approprier les saisons

et la tolérance envers ce que la nature daigne vous allouer.

 

Vous qui créez à partir de quelques brins de fils

tendus par les humeurs du jour

vous nous montrez

la chaleur et le réconfort apportés dans les temps de froidure.

 

Vous qui engendrez à même vos entrailles

les fruits de votre passion,

vous nous apprenez le regard neuf à poser sur le monde.

 

A L’autre Parole,

nous recherchons une façon

de rendre compte de l’utopie chrétienne

en partant

de la souffrance et de la colère des femmes

en Eglise,

de notre capacité d’être prophète,

et de manifester notre espérance.

 

Que la source de nos créativités

suscite une vie en abondance

chez toutes les femmes

de par le monde.

 

Comme rite d’envoi, les participantes lisent ensemble à haute voix un extrait adapté du Psaume 30, verset 6b.

 

Le soir, s’attardent nos pleurs

mais, au matin, crie notre joie.

 

Enfin, les participantes chantent en choeur La marche de libération des femmes, ce

chant de ralliement que les suffragettes anglaises entonnaient lors de leurs marches

pour revendiquer le droit de vote. (Pour la traduction du chant, voir l’encadré).

 

 

1 Maureen Forrester: BACH and HANDEL ARIAS, C S R V 669 Stereo, VANGUARKD EVERYMAN CLASSICS.

 

LA MARCHE DES FEMMES

 

Texte: Cecily Hamilton

Musique: Ethel Smyth

 

Traduction des couplets 1, 2 et 4: Nusia Matura

 

Crie, crie haut ta chanson

Souffle le vent car l’aurore se lève

Marche, marche, scande la mesure

Déferle notre bannière car l’espoir s’avive

Récits de l’histoire, rêves de gloire

Voici l’appel, joyeuses les paroles

Plus fort le son se dilate

Tonnerre de liberté, c’est la voix de Dieue.

Nous, longtemps auparavant

Affolées face à la clarté du ciel

Puissantes enfin, debout!

Ferme notre foi, une vision nouvelle.

Force admirable, vie responsable

Ecoute ses voix, écoute et agis.

Elles nous entraînent plus loin

Ouvre tes yeux à l’éclat du matin.

Vie et lutte vont ensemble

Rien n’est gagné sans croyances et sans risques

Amies, allons devant

Nous préparons le travail de demain.

Sûre, notre confiance, gaie notre défiance

Rions d’espoir, car certain est le but.

Marche, marche, d’un même pas

Epaule contre épaule, des compagnes et amies1 .

 

1 Disque: Ethel Smyth: MASSING, THE PLYMOUTH MUSIC, series/brunelle, VC 7 91188 – 2, VIRGIN CLASSICS DIGITAL