Célébration LA MAGIE FEMININE FAIT TACHE
Lucie Leblanc • Bonnes Nouv’Ailes
Fin août Nous voilà toutes réunies afin de mettre un peu de lumière sur le délicat et percutant débat des N.T.R. Mais ce n’est pas tout d’en discuter lors d’un colloque. Notre tradition « autreparolienne » nous invite aussi à la célébration.
Notre symbolique féministe s’enrichit d’année en année grâce à la créativité de toutes. Les célébrations sont des catalyseurs pour relancer chacune dans son action quotidienne. Elles sont pour nous un lieu de rencontre fondamental, car le danger de rester au niveau de la « tête » plutôt qu’à celui des émotions nous guette.
Les N.T.R. (ainsi que la gestion des naissances) nous apparaissant parfois si loin du rythme des femmes, parfois si distantes, si désincarnées, il a semblé essentiel de centrer la célébration sur le respect de nos êtres-femmes. Nous avons donc mis en évidence nos fécondités/fertilités, bien naturelles puisque non domestiquées, non gérées par une science trop souvent loin des êtres. Voici donc comment, à partir du thème fameux de ce colloque, nous avons célébré.
D’abord un décor de circonstance. La table est recouverte d’une nappe de papier blanc. Des supports à éprouvettes accueillent de longues flûtes à vin improvisées. Des condoms gonfles comme ballons et des serviettes sanitaires enveloppées (le monde moderne a tout prévu… discrétion oblige) ajoutent un côté délinquant à notre table de fête. Un pot de peinture tactile rouge et des chandelles complètent la décoration. L’ensemble est entièrement recouvert de papier saran, symbole de l’aseptisation de la science toute-puissante. Accrochées au mur, des lumières crues (dites de « garage ») nous signifient la même idée.
Puis c’est l’ACTION-REFLEXION
Thème : « Les femmes sont un grain de sable dans l’organisation d’une production parce qu’elles produisent à la fois de l’avoir et de l’être-1.
Les participantes sont accueillies en silence par un lavement des mains et le don d’une paire de gante de plastique qu’elles sont invitées à porter. Rassemblées autour de la table, elles départissent ensuite celle-ci de son enveloppe de plastique ainsi que leur chaise recouverte de la même membrane.
Introduction
Un moment de silence pour l’intériorisation… Puis l’écoute de la chanson de
Renaud « En cloque ».
Elle a mis sur l’mur, au-d’ssus du berceau
une photo d’Arthur Rimbaud.
Avec ses cheveux en brosse, elle trouve qu’il est beau
dans la chambre du gosse, bravo!
Déjà les p’tits anges sur le papier peint
j’trouvais ça étrange, j’dls rien,
elles me font marrer ses Idées loufoques
depuis qu’elle est en cloque…
Elle s’révellle la nuit, veut bouffer des fraises,
elle a des envies balaises,
mol j’suis aux p’tfts soins, je m’défonce en huit,
pour qu’elle manque de rien ma p’tlte.
C’est comme si j’pissais dans un violoncelle,
comme si j’existais plus pour elle,
je m’retrouve planté, tout seul dans mon froc,
depuis qu’elle est en cloque-
Le soir elle tricote en buvant d’la ver veine,
mol j’démêle ses p’lottes de laine,
elle use les miroirs à s’regarder d’édans,
à s’trouver bizarre tout l’temps.
J’ul dis qu’elle est belle comme un fruit trop mûr,
elle croit qu’j’me fous d’elle, c’est sûr.
faut bien dire c’qul est, mol aussi j’débloque,
depuis qu’elle est en cloque…
Faut qu’j retire mes grolles quand j’rentre dans la chambre
du p’tlt rossignol qu’elle couve,
c’est qu’son p’tit bonhomme qu’arrivé en décembre,
elle le protège comme une louve.
Même le chat pépère elle en dit du mal,
sous prétexte qu’y perd ses poils,
elle veut plus l’volr traîner autour du paddock
depuis qu’elle est en cloque…
Quand j’promène mes mains d l autre côté de son dos,
j’sens comme des coups d’poing, ça bouge,
j’ui dis: l’es un jardin, une fleur, un ruisseau,
alors elle devient toute rouge.
Parfois c’qui m’désole, c’qui m’fait du chagrin,
quand je r’garde son ventre et le mien,
c’est qu’même si j’dev’nais pédé comme un phoque,
moi j’s’rai jamais en cloque…
Réflexion-célébration
Lecture : « Mon premier a pour nom règles, il est rouge et violent et tenu au secret Mon second s’appelle fécondité, il gît au fond d’un abîme et doit être tu. Mon troisième s’appelle maternité, il est incarné par l’enfant et dans l’ombre est sa mère. Mon tout transforme les êtres humains en choses, c’est l’instinct de mort de notre société.2
Le sang menstruel est tabou depuis quelques lustres, ce n’est un secret pour personne… et pourtant il demeure le signe le plus tangible de notre fertilité.
Chacune est appelée à proclamer de qui elle est la fille et de qui ou de quoi elle est la mère (un projet, un enfant…). Après avoir prélevé de la peinture tactile avec ses doigts, chacune nomme son origine et ses multiples fertilités, avec émotion. Le geste est simple, il suffit d’étendre – comme un enfant – la peinture sur la nappe pour dessiner le graffiti de son choix.
Puis nous trinquons les éprouvettes pour fêter notre rouge différence car
« II faut donner toute leur place aux rythmes du corps féminin et reconnaître
qu’il porte des fonctions biologiques qui lui sont propres.
Non pour faire de la différence entre les sexes un prétexte à l’enfermement
des femmes. Non pour l’exaltation de la reproduction.
Non pour glorifier une nature qui n’est nullement bienveillante. Mais
parce que le corps des femmes se souvient encore que l’humanité
existe et en témoigne, malgré elle parfois. »3
L’humour cinglant de Claire Bretécher nous fait ensuite sourire: nous nous passons
-en pièces détachées- une bande dessinée qui met en vedette un médecin visionnaire en train de décrire de façon exhaustive le futur bébé de « sa petite madame1… et ce portrait anticipé ne correspond guère au désir de la mère.
La célébration se termine par la distribution de feuilles portant, au centre, le dessin d’un petit foetus. Les participantes sont alors invitées à y ajouter leurs propres réflexions imagées.
Ce dernier partage complète le décor car nous collons les dessins au mur. De décor aseptisé qu’il était au début le revoilà devenu nôtre.
La magie féminine a fart tache.
1 F. Edmonde MORIN, La rouge différence, Ed. du Seuil, 1982, p. 10.
2 Ibid., p 9
3 lbid., p 10