Travail du sexe ou prostitution?

Travail du sexe ou prostitution?
Éléments de réflexion en vue d’un débat lancé par la FFQ

La Fédération des femmes du Québec (FFQ) propose une réflexion de fond sur le travail du sexe et la prostitution dans le but d’en dégager des actions pouvant assurer une meilleure protection des femmes concernées. La réflexion entreprise découle directement des travaux tenus, en 1999, à la veille de la Marche mondiale des femmes par la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux femmes (volet québécois).  L’une des revendications formulées alors portait sur le travail du sexe. Il s’agissait d’une «revendication large» portant sur le respect des droits et de la dignité des travailleuses du sexe, notamment dans leurs rapports avec la police et les services sociaux et de santé. Cette position  n’a pas fait l’unanimité, mais elle a recueilli un appui majoritaire. Par la suite, un comité de travail du Conseil d’administration de la FFQ s’est engagé dans la voie d’une consultation plus large à travers le Québec. Cette consultation élargie vise à sensibiliser les membres à la question, puis à dégager des pistes d’action. «Quoi que nous pensions de la prostitution ou de l’industrie du sexe, les femmes qui se trouvent dans ce milieu comptent sur le respect, la compréhension et la solidarité des féministes», disent les auteures du Document de travail préparatoire à la tournée provinciale (p.14).                                                                     

Agir dans l’immédiat et à plus long terme

            C’est avec ouverture d’esprit et dans l’intention d’élaborer des recommandations à soumettre à son Assemblée générale du printemps 2002 que la FFQ a donc lancé le débat. L’unanimité en tout point sera difficile à obtenir, avouent les responsables de l’opération, mais l’étape de la réflexion devrait permettre d’identifier des mesures susceptibles d’être prises dans l’immédiat comme à plus long terme. Pour cerner la complexité du sujet à débattre, des documents de travail ont été préparés. Ils réflètent les points de vue de deux principaux groupes de féministes ayant réfléchi à la question.

Le mouvement féministe n’est pas unanime

            –  D’une part, il y a des féministes qui considèrent que la prostitution relève fondamentalement de l’exploitation sexuelle des femmes et qu’elle constitue une violation des droits humains. Ce phénomène représente, aux yeux de plusieurs d’entre elles, l’une des expressions les plus fortes de l’oppression des femmes et de la violence patriarcale. En conséquence, elles n’envisagent de solution au problème que par l’élimination de tous les rapports de domination entre les hommes et les femmes. Elles visent donc à long terme l’abolition de la prostitution et, dans le contexte actuel, elles sont contre la criminalisation des prostituées.

            –  D’autre part, certaines féministes considèrent que le problème central, c’est l’illégitimité de la prostitution comme travail. Selon elles, la criminalisation des travailleuses du sexe et de l’industrie du sexe est à la source même des violations des droits des prostituées et des mauvais traitements qu’elles subissent. La solution envisagée ici se trouve d’emblée du côté de la décriminalisation de l’industrie et de la reconnaissance de la prostitution comme travail légitime. Pour contrer les abus, les fraudes et autres formes de violence que subissent les travailleuses du sexe, on propose ici de recourir aux lois existantes en matière de travail et de lutte contre la violence.

            Faut-il ou non revendiquer l’abolition de la prostitution et du travail du sexe? Non, disent celles qui croient que la stigmatisation des femmes et les possibilités d’abus découlent des législations anti-prostitution et de la clandestinité de l’industrie du sexe. Selon elles, il faut reconnaître la légitimité de ce travail, car il est difficile de lutter contre les abus et la discrimination que vivent les personnes exerçant la prostitution si on continue de considérer cette pratique comme criminelle. «Définir la prostitution et le travail du sexe comme formes d’exploitation sexuelle et de violation des droits humains des femmes tel qu’il est fait dans un cadre d’analyse abolitionniste a de graves conséquences pour l’ensemble des femmes», disent certaines féministes, car cette définition maintient le caractère illicite et transgressif de l’institution de la prostitution de même que la pérennité du stigma pute.» (p.21)

            La reconnaissance du métier — de travailleuse du sexe — est donc considérée par les féministes appartenant à ce courant de pensée comme le principal moyen de lutter contre les abus, l’exploitation et la violence qui accompagnent sa pratique.

            Mais la légalisation de la prostitution n’aurait-elle pas pour effet de rendre plus facile l’entrée des femmes dans ce marché, disent leurs opposantes? De plus, n’encouragerait-on pas ainsi les hommes à «consommer»? Oui, disent celles qui songent avant tout que la prostitution contribue à l’exploitation de millions de femmes dans le monde. Pour elles, la prostitution est une violence contre les femmes qu’aucune société ne devrait tolérer. C’est en ces termes que s’exprime Gunilla Ekberg, une féministe suédoise qui a participé à la rédaction d’une loi sur la prostitution dans son pays d’origine où la justice poursuit les hommes alors qu’elle met les prostituées à l’abri des poursuites criminelles.

            Dans l’appréciation des impacts sociaux et économiques de la prostitution a-t-on mesuré les coûts entraînés par cette activité et celle de la consommation de drogues qui en fait souvent partie? La lutte à la pauvreté des femmes passent-elles vraiment par la reconnaissance d’un droit à pratiquer «un métier» qui présente d’emblée bien des risques?

Solidarité féministe autour de mesures à prendre pour aider les femmes marginalisées

            Au-delà de leurs divergences de vue sur la question de la prostitution, les féministes engagées dans le débat ont réussi à faire consensus sur un certain nombre de points, notamment en ce qui a trait à la décriminalisation des femmes trafiquées et prostituées. La décriminalisation des activités pratiquées par les clients des travailleures du sexe n’a cependant fait l’objet que d’un accord majoritaire. Par contre, il y a eu consensus sur la question du proxénétisme, la prostitution des adolescentes et des fillettes étant vue unanimement comme à proscrire.

            Dans la liste des  recommandations1 qui se dégagent de la réflexion préliminaire, huit propositions d’intervention s’adressent aux deux paliers de gouvernement. En tête de liste, on retrouve l’accès pour toutes les travailleuses du sexe aux services sociaux, de santé, d’assistance juridique et de police de même que des formations spécifiques pour les personnes appelées à intervenir auprès d’elles. Selon les recommandations à l’étude, une refonte du code criminel touchant le travail du sexe et la prostitution devrait être entreprise de même qu’une révision des lois fédérales et provinciales ayant trait à la violence faite aux femmes. Les travailleuses du sexe, précise une des recommandations, devraient avoir le droit de s’organiser pour faire valoir leurs droits. Celles qui sont trafiquées devraient également avoir la possibilité de retourner dans leur pays si elles le souhaitent ou de recevoir ici le statut de réfugiées.

            Ces mesures sont aussi assorties de la tenue d’une campagne de sensibilisation visant à inclure la problématique du travail du sexe dans celle, plus large, des violences faites aux femmes.

1. Ces recommandations servent de canevas pour la consultation publique et la préparation de l’Assemblée générale de la FFQ (printemps 2002) en vue d’une prise de position officielle.

Résumé préparé par Agathe Lafortune pour L’autre Parole