Un congrès de théorie féministe à Rabat au Maroc
Joanie Bolduc *
Pour une étudiante, les colloques internationaux sont toujours impressionnants et, avouons-le, aussi un peu apeurants.
La présence de professeures vedettes jusqu’ici accessibles que par leurs écrits y joue pour quelque chose. Toutefois, le 5e Congrès des Recherches féministes dans la francophonie plurielle, tenu à Rabat au Maroc du 21 au 25 octobre 2008, a permis à plusieurs d’entre nous étudiantes de faire nos premières armes dans l’arène du monde académique international. Le thème du « Féminisme face aux défis du multiculturalisme », ainsi que la présence de femmes de partout à travers la francophonie a certainement permis de créer de nouveaux liens et a permis la rencontre de diverses perspectives. Finalement, la venue d’un colloque féministe au Maroc a favorisé la présence et le dialogue entre et avec des féministes musulmanes provenant d’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Plusieurs générations de féministes de tous les pays
En tant que « jeune » féministe, du milieu universitaire de surcroît, le Congrès de Rabat m’a procuré l’occasion d’avoir des contacts, des discussions avec des féministes de tous âges. Enfin une occasion de discuter, d’expérimenter concrètement une solidarité féministe transgénérationnelle dans un presque huis-clos féminin de cinq jours. La diversité des thématiques des présentations (littérature, politique, religion, etc.) permettaient un échange fructueux à partir des propos des communicatrices. Malheureusement, ou peut-être heureusement, ces discussions ne pouvaient s’épanouir que lors des pauses et des repas qui laissaient un espace où les expériences personnelles et professionnelles de chacune trouvaient à se partager.
La présence de féministes de nombreux pays a aussi favorisé la création de réseaux de solidarité internationale. Par exemple, une table ronde sur « les enjeux de l’intégration et du développement de la formation et de la recherche féministe au sein des universités francophones à travers le monde » a réuni des porte-parole de chacun des pays présents au congrès. Cette table ronde a donné à un état des lieux de la formation et de la recherche féministe dans chacun des pays et mis en lumière les différents modes d’organisation favorisés par les mouvements des femmes des différents pays. À certains endroits, comme au Québec, groupes de femmes et milieu institutionnel universitaire collaborent étroitement. Il semble cependant que la voie adoptée par la majorité soit une séparation des universitaires et des militantes diluant ainsi la possibilité d’application des recherches aux besoins concrets des femmes sur le terrain. Toutefois, quelques grands traits communs des études féministes en milieu universitaires ont pu être tirés. Premièrement, le manque de support des institutions universitaires ainsi que la rareté des ressources financières pour les études féministes semblent être des obstacles partagés par tous les pays, même s’il est clair que ce soutien institutionnel et financier demeure tout de même plus accessible dans le monde occidental. Les organisatrices marocaines ont souligné comme un gain l’obtention d’un local pour les recherches et la formation féministes à Rabat suite à la présence du Congrès dans leur université. Cette table ronde représente pour moi une excellente conclusion du Congrès (même si un peu serrée dans le temps). Elle a permis de saisir l’essentiel des défis de l’institutionnalisation de la recherche et de la formation féministes dans la francophonie, tout en rendant compte de la vitalité et de la persévérance des femmes qui portent ces enjeux à travers le monde.
Le multiculturalisme comme prétexte pour parler de religion : l’islam au menu
Il était prévisible que l’islam serait beaucoup discuté avec le multiculturalisme comme thème central et le Maroc comme pays hôte, et ce malgré la présence de chercheures en provenance de pays où l’islam est minoritaire. L’islam a été abordé sous tous les angles possibles dans plusieurs panels et dans toutes les conférences plénières auxquelles j’ai assisté au point que la diversité culturelle fut éclipsée par les enjeux de la rencontre entre féminisme et religion ; la religion étant majoritairement comprise comme référant à l’islam (à l’exception notable de la communication d’Anne Létourneau sur le bouddhisme et des quelques conférences abordant la religion dans une perspective de diversité religieuse en contexte migratoire.) En effet, l’islam fût examiné à la loupe pendant les cinq jours du congrès. Que ce soit à partir d’enquêtes terrains réalisées auprès de populations migrantes en Europe ou au Canada, que ce soit à partir de l’angle des accommodements raisonnables (sujet populaire parmi les Québécoises) ou que ce soit à partir d’une perspective féministe musulmane ou anti-musulmane, les communications et les discussions ont souvent traité des rapports entre féminisme et islam.
La diversité des positions des féministes musulmanes m’a frappée. On pouvait assister à une critique visant à dépatriarcaliser l’islam et ses pratiques au côté d’une conférence sur une interprétation féminine du Coran. Il est rare de pouvoir assister au Québec à des discussions internes entre des féministes musulmanes. Ces débats se déroulent souvent à l’intérieur de la communauté musulmane et il est plutôt difficile d’y avoir accès en dehors des textes écrits sur le sujet. Le congrès de Rabat fut en ce sens très instructif surtout en ce qui concerne l’interprétation des textes sacrés. En effet, il est difficile pour les musulmanes de développer une théologie féministe qui puisse réécrire les sourates patriarcales présentes dans le Coran puisque celui-ci est révélé et qu’il descend directement d’Allah par l’entremise de l’ange Gabriel et du prophète. Rejeter des morceaux du Coran en les qualifiant de patriarcaux équivaut dans l’esprit de plusieurs à discréditer le prophète et à ainsi remettre en question l’ensemble de l’islam. La stratégie adoptée par la majorité des musulmanes est donc de critiquer les autres textes de l’islam qui, eux, dépendent d’une chaîne de transmission humaine (et masculine) et de rejeter les interprétations sexistes qui découlent de ces textes. Mais que faire lorsque le texte central de la tradition est discriminatoire et que l’on ne peut le réinterpréter puisqu’il est révélé ? C’est cette question cruciale qui me semble occuper présentement les féministes en pays musulmans (particulièrement les féministes marocaines). L’importance de ce nœud paraît provenir de la grande influence que les officiels de la religion musulmane possèdent sur les politiques et le discours publics. Les féministes qui oeuvrent de l’intérieur aussi bien que celles qui se sont détachées de la religion ont donc à travailler avec cette force sociale qu’est le discours religieux. Dans ce contexte, on a donc pu assister à des débats sur les meilleures stratégies à adopter pour contrer ce sexisme émanant de la tradition : couper complètement les liens avec l’islam ou le réformer plus ou moins radicalement de l’intérieur. Avouons que ces questions nous ramènent à des préoccupations qui résonnent en contexte québécois.
Parallèlement aux débats des féministes musulmanes, les questions de la laïcité versus la religion dans les sociétés d’immigration ont été abordées abondamment par nombre d’intervenantes des pays du Nord (issues de l’immigration ou non). Ici encore, l’islam demeure le point central à partir duquel on discute. Soit que l’on s’intéresse aux communautés musulmanes vivant en con-texte européen ou nord-américain, soit l’islam est pris comme exemple des conflits autour de la laïcité dans les sociétés d’accueil. On en parle en terme d’ethnicisation des groupes sociaux, en terme de racisme ou en terme de problèmes de communautarisme et d’intégration. La majorité des interventions visaient clairement à créer des ponts entre femmes de toutes origines et visaient à déconstruire les rapports de pouvoir Nord-Sud. Cependant, vouloir abattre les inégalités n’est pas une mince tâche. Plusieurs incompréhensions liées aux manières de faire, aux différents accents, à des ressources matérielles inégalitaires, ainsi qu’à des priorités divergentes étaient présentes. Mais la plus grande des incompréhensions demeure pour moi la place que peut prendre la religion dans la vie des femmes. Pour plusieurs féministes du Nord présentes sur place, la religion demeure un phénomène minoritaire relié à l’immigration dans leur pays d’origine ou une force rétrograde à combattre dans les pays où elle est « encore » présente. D’où une certaine irritation face à l’idée de réformer ou de s’allier avec les forces progressistes présentes dans les diverses traditions religieuses. Bref, à plusieurs reprises, il me semble que les débats sur la religion et l’islam voyait des tentatives de dialogue entre deux paradigmes difficilement conciliables : d’un côté des féministes ayant à composer quotidiennement avec des représentants et des croyants et croyantes d’une tradition religieuse forte et de l’autre des femmes ne comprenant pas l’importance de la religion et de la spiritualité dans la vie de plusieurs femmes et féministes.
Féministes avant tout
Il ne faut cependant pas nier les efforts effectués de part et d’autres pour expliquer les enjeux particuliers de chaque région du monde ainsi que les efforts réalisés par plusieurs pour se décentrer de leur propre réalité afin de mieux saisir les défis du féminisme en pays musulman. Il me reste de ces cinq jours la déception de n’avoir pu assister à toutes les présentations de ce congrès (plus d’une centaine) et de n’avoir qu’une vision partielle de ce que les participantes avaient à offrir. Je retiendrai pour l’avenir la passion avec laquelle les présentatrices ont partagé leurs travaux (malgré le manque de temps) et la vision d’une francophonie féministe vivante.
* Joanie Bolduc est étudiante à la maîtrise en sciences des religions, concentration en études féministes, à l’UQÀM. Elle s’intéresse aux rapports sociaux de sexe et ethniques en lien avec les femmes immigrantes au Québec, particulièrement les femmes musulmanes