UN ÉCHO DU JAPON
Yuki Shiose • Professeure
« Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison », demandait Marguerite Yourcenar. Comme elle et beaucoup d’autres, connaître les inconnus, transgresser les frontières, comprendre les énigmes m’ont fascinée depuis toujours.
Poussée par cette passion, je me suis retrouvée, seule le 2 janvier il y a 8 ans, à l’aéroport de Québec. Depuis lors, j’ai rencontré mon mari, obtenu un Ph.D., et commencé à donner des cours à des jeunes Québécois.
Mon pays d’origine, le Japon endogamique, m’a, cependant, procuré des logiques métisses comme dit Amselle. J’ai grandi en appréciant simultanément le jazz, les mélodies mélancoliques du Koto, Hesse, et Kawabata. Les femmes japonaises de ma génération font aussi face à des situations plurielles polysémiques. L’école japonaise prêche l’égalité, mais une fois entrées dans le « vrai » monde, les femmes subissent de lourdes pressions informelles pour qu’elles se soumettent au moule: Une bonne fille, après quelques années de travail à mi-temps, se marie sagement, abandonne le marché du travail et élève un garçon compétent et une fille charmante, qui, après quelques années de travail à mi-temps, épousera un garçon compétent…
Évidemment, petit à petit, la situation change. De nombreuses femmes continuent à travailler après l’accouchement. (Notons au passage que légalement, l’avortement n’y est pas problématique comme en Occident.) Néanmoins, les responsabilités ménagères sont assumées entièrement par la femme. Le mari « tolère » le travail de sa femme à l’extérieur si celle-ci ne néglige pas « son obligation de femme ».
Lorsque je parle avec mes étudiants et étudiantes de la situation au Japon en ce qui concerne la relation femme-homme, ils me regardent comme si je parlais « du chinois ». Ils me disent que c’est inconcevable de tolérer cette « injustice » au Québec. Ils sont d’autant plus étonnés quand je leur dis que le fameux modèle japonais du succès est bâti sur cette dichotomie des sexes.
Quant à moi, influencée à la fois par la pensée Zen et celle de Giordano Bruno, je considère primordiale l’individualité. Bien qu’impressionnée par l’effort d’égalisation de la femme et de l’homme au Québec, je note, avec un peu d’étonnement, qu’il s’agit d’un mouvement polarisé et d’une dynamique de standardisation collective et non d’une promotion d’individus. J’observe aussi, en général, une certaine décadence de la loyauté familiale et une anesthésie de la tendresse en Occident.
Tandis que j’écris ces lignes, mon mari, un Occidental, est en train de me faire un café et réclame son émancipation. Il ne fera cependant pas la vaisselle, moi non plus, grâce à la technologie moderne occidentale.