Un legs spirituel important
Johanne Jutras
À l’été 2019, j’ai lu la revue internationale francophone Nouvelles Questions Féministes (NQF) intitulée Féminismes religieux — Spiritualités féministes 1 en Guadeloupe. Drôle de lecture de vacances, me direz-vous, mais j’ai beaucoup apprécié ce numéro qui traite de religions, spiritualités et féminismes. Un sujet qui n’avait pas été abordé durant les 38 ans d’existence de la revue NQF. Au Québec, la revue québécoise Recherches féministes se distinguait en 1990 en publiant L’autre salut 2 , sous la direction de Monique Dumais, Ursuline, l’une des trois fondatrices de la collective féministe et chrétienne L’autre Parole au sein de laquelle milite Denise Couture3. Alors, quand la directrice adjointe de la revue Recherches féministes, Marie-José des Rivières, m’a demandé de faire le compte rendu de l’ouvrage de Denise Couture paru au début 2021, j’ai répondu tout de suite « Oui, je le veux ».
En tant que féministe, interchrétienne et chercheuse sur le phénomène de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, j’ai d’abord été séduite par le rappel historique du slogan Le personnel est politique réalisé par l’autrice. En effet, quoi de plus personnel que la sexualité qui consiste à entrer en relation avec l’autre. J’ai adhéré à l’énoncé voulant que les difficultés éprouvées par les femmes ne soient pas uniquement des problèmes personnels, mais plutôt des effets de politiques injustes. On n’a qu’à penser à l’essor phénoménal de l’industrie pornographique depuis le milieu des années 1950. À cet égard, Denise Couture cite « Laura Donaldson [qui] propose une analyse dans la même direction à partir du récit de voyage de Christophe Colomb qui décrivait le paysage de ce qui est aujourd’hui la ville de San Salvador aux Bahamas comme des mamelons. Elle fait un lien entre la vision pornographique de la terre conquise, le colonialisme et l’appropriation du corps des femmes autochtones » (p. 70) tout en ajoutant les corps de l’ensemble des femmes.
Ensuite, j’ai jubilé aux relectures féministes de la tradition chrétienne que nous propose Denise Couture qui se concentre sur Dieue, Christa, la Trinité et Marie. Elle illustre toute la créativité de féministes alors qu’un grand nombre d’entre elles ont renoncé au Dieu surhumain ou surnaturel qui légitime l’infériorité des femmes, d’autres « […] ont choisi plutôt la voie de procéder à une reconstruction féministe du symbole de la Dieue chrétienne » (p. 91-92). Pour l’autrice, « [i]l est nécessaire de repenser le symbole en lien avec la libération, avec la remise en question des dominations et avec la construction de nouvelles relations » (p. 97).
Ensuite, Denise Couture nous présente Christa, une « […] Christa vibrante, stimulante, attirante que nous portons dans nos cœurs en même temps que la Christa que nous voulons devenir collectivement » (p. 102-103). Christa est leur souffle « […] à travers les vies et les corps des femmes dans leur souffrance, dans l’écoulement de leur sang, dans leur résistance à l’injustice, dans leur capacité de mise au monde, par leur créativité, leurs histoires personnelles ou politiques » (p. 105). Puis, l’Esprit de la trinité, soit l’Esprit saint, y est appréhendé « […] comme un mouvement divin en toutes choses, comme une présence de la Dieue vivante en chaque personne, dans l’histoire et dans le cosmos » (p. 112). Enfin, l’autrice relate l’importance de la déconstruction du symbole féminin de la Vierge puisqu’il faut « […] délivrer Marie de son carcan, la ramener sur terre, l’imaginer dans sa vie quotidienne et s’inscrire dans la foulée des paroles libératrices du Magnificat » (p. 127). Quelle audace !
Puis, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire la critique féministe radicale de l’Église catholique proposée par Denise Couture. En effet, elle s’attaque à la « théologie de la femme » édictée par le Saint-Siège :
[…] un système de pensée et d’organisation patriarcale/phallocentrique qui expose : 1) des fondements religieux et empiriques de la subordination du groupe des femmes au groupe des hommes (certes, le terme subordination est employé avec parcimonie dans les textes) ; 2) des normes morales sexuelles qui procèdent de la nature immuable de la femme et du couple hétérosexuel, voulus par Dieu (interdiction de la contraception et de l’avortement, et relations sexuelles licites dans le mariage hétérosexuel) ; 3) l’énoncé de la vocation spécifique des femmes, dans l’Église et dans la vie civile, qui consiste à être des épouses et des mères, physiques ou spirituelles, le tout accompagné de l’exposition des rôles distinctifs de la féminité, tels posséder une sensibilité pour la souffrance, prendre soin, être à l’écoute, vivre pour les autres, servir les autres, etc. (p. 179-180).
Décidément, ces bons Pères de l’Église catholique prônent un « nouveau féminisme » bien éloigné de la force créatrice de la spiritualité féministe.
Finalement, contrairement au climat ambiant, Denise Couture démontre que les religions, les spiritualités et le féminisme peuvent être compatibles à l’aide des expériences et des prises de position de féministes de plusieurs horizons exprimées pour créer davantage de justice ici-bas. Cet ouvrage constitue un legs spirituel important de Denise Couture dont le cheminement séculier, religieux et féministe constitue une source vitale d’énergie pour les générations présentes et futures. Par ce livre, l’autrice appelle à une révolution du féminisme qui nie la religion et interpelle la créativité des femmes pour bâtir une ou des spiritualités féministes.
Bonne lecture et bonne réflexion !
Johanne Jutras est détentrice d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en études féministes de l’Université Laval, d’une maîtrise en développement régional de l’Université du Québec à Rimouski ainsi que d’une maîtrise en mesure et évaluation de l’Université Laval. Elle est actuellement étudiante en santé sexuelle à l’Université Laval.
1.« Féminismes religieux – Spiritualités féministes », Nouvelles questions féministes, 38, no 1 (2019), 216 pages.
2 « L’autre salut », Recherches féministes, 3, no 2, (1990), Québec, 232 pages.
3 Catherine FUSSINGER, « Marie-Andrée Roy, sociologue des religions et chercheuse féministe. Quarante ans avec la Collective féministe et chrétienne L’autre Parole au Québec, entretien réalisé par Catherine Fussinger », Nouvelles questions féministes, 38, no 1 (2019), p 120-135.