UN MOUVEMENT EN SPIRALE HOMMAGE À LA THÈSE DOCTORALE DE MÉLANY BISSON

UN MOUVEMENT EN SPIRALE HOMMAGE À LA THÈSE DOCTORALE DE MÉLANY BISSON

Denise Couture, Bonne Nouv’ailes

Par ce numéro de revue, L’autre Parole a voulu rendre hommage à la thèse de Mélany Bisson, membre de la collective. Mélany l’a réalisée en cotutelle à l’Université de Montréal (au Québec) et à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 (en France). La soutenance publique a eu lieu à Montréal en septembre 2007.

L’étude adopte une approche résolument multidisciplinaire se situant à la croisée de la théologie, des sciences des religions, des études féministes, de la littérature et de la psychanalyse. Sur le plan du contenu, elle présente des analyses de textes choisis de Jacques Lacan, de Luce Irigaray et de Julia Kristeva, et elle s’appuie surtout sur les travaux de cette dernière pour proposer « une éthique du devenir sujet femme » qu’elle met en lien avec une exploration de l’expérience spirituelle des femmes, car cette éthique et cette spiritualité demeurent étroitement interreliées dans cette thèse.

Le choix du thème du numéro, L’écriture au féminin, résulte moins des développements de la thèse (dans laquelle on ne trouvera pas une théorie élaborée sur ce sujet), qu’il ne fait écho à la pratique d’écriture de Mélany B1. La thèse fait ce qu’elle dit. Dans son geste d’écriture, elle met en pratique ce dont elle parle. Son processus correspond à son contenu, du moins pour une bonne part. Cela arrive rarement dans les thèses doctorales à cause de la difficulté d’y parvenir et du risque encouru. Mais, dans cette thèse, un devenir sujet femme advient : un devenir sujet Mélany B. Souvent, dans un travail de ce type, les étudiantes résument des « pensées », puis présentent leurs propres critiques. Mélany B. fait autre chose. Le travail de l’écriture a dirigé le jeu dans un mouvement en spirale. L’autrice a créé et habité un espace entre-les-textes-choisis. Tout à la fois : elle a écrit avec les mots de ceux-ci, soutenu les convergences entre eux et déployé un propre devenir sujet femme. Adroitement, l’écriture répond aux normes universitaires doctorales en même temps qu’elle les transgresse. Mélany B. a choisi (éthique) de faire les deux. Pour des raisons explicitées dans la thèse, elle se devait de faire les deux afin qu’un sujet femme advienne. Elle soutient en effet avec Julia Kristeva que le lieu de la jouissance de la femme « n’est ni phallique ni totalement a-phallique», mais « trans-symbolique» (p. 138-139)2. Le préfixe trans exprime le paradoxe d’obéir et de ne pas obéir à une structure qui nous détermine, la position paradoxale qu’occupe une femme quand elle respire la vie.

Lorsque j’ai terminé la lecture du volume, je me souviens être demeurée émue, touchée et pensive. Voici les mots qui me sont alors venus en tête pour nommer le mouvement de l’écriture de la thèse et pour exprimer en même temps l’état dans lequel elle me laissait quand j’ai tourné la dernière page.

Une trans-thèse,

 un enracinement du devenir,

une guérison.

Jouissance?

J’ai eu le plaisir de faire partie du jury d’évaluation de la thèse et je puis témoigner qu’il n’est pas aisé de la résumer. Les cinq membres du jury en ont fait des lectures fort différentes. Si je devais la présenter en quelques lignes, de mon point de vue, cela donnerait à peu près ceci : cette thèse passe par la zombre (mot inventé par Mélany B. par contraction de zone et d’ombre, qui signifie une « zone d’ombres ») pour penser le lieu de la jouissance de la femme comme un espace sacré où jaillit le féminin. Quand celui-ci advient, il se produit un bouleversement de l’ordre, il y aurait du désordre, et, en même temps, « un mouvement de renoncement à sa propre aliénation et à l’aliénation qu’elle peut faire subir à l’autre » (p. 159) (féminisme) qui se manifeste dans une « éthique du devenir sujet femme ».

Une des propositions m’a particulièrement intéressée. Mélany B. suggère de lire un texte en passant par la zombre (p. 153), de le lire ni « au-dessus », ni « en ‘de ça’ » de « la pensée de l’auteure », mais dans la zone d’ombre « entre nos pensées » (p. 100). Plutôt que de continuer de jouer aux soldates enrôlées dans les seules logiques phallocentriques, surtout à l’université, elle suggère un mouvement continu de construction de liens entre les diverses pensées féminines et féministes, comme une manière de faire et de vivre, comme une expression de la vie, auprès du lieu de la jouissance de la femme. Faite à Montréal, à Bordeaux et entre les deux, la thèse aborde la question des relations (internationales) entre les théories. Elle m’a ramenée à une propre blessure comme professeure aux études supérieures.

J’ai mal aux hostilités entre les sujets femmes

comme effets irréfléchis

de leurs inscriptions universitaires.

Mélany B. écrit: « La zombre est l’expression de cette liberté du devenir femme qui perturbe l’ordre établi », on en a besoin pour « découvrir un territoire de jouissance d’où émane un soi ignoré » (p. 146). Elle « fait découvrir la part de l’Autre en soi (une position frontalière), c’est-à-dire le lieu de la jouissance de la femme » (p. 154). Il n’y aurait pas de sacré au féminin sans faille et, pour le dire avec les concepts de cette thèse, sans zone d’ombre et sans paradoxe qui consiste à s’inscrire et en même temps qu’à refuser de s’inscrire dans « l’ordre établi ».

Une thèse.

Une parole prononcée à l’Université,

une courtepointe de théories.

Un risque choisi,

en acte,

dans les petits et les grands vents,

tantôt, au creux de vagues immenses,

parfois, à la surface du miroir liquide,

aux frontières d’un océan sans centre.

Mots qui entrelacent

des corps allant autrement à la guerre,

comme des points de suture d’une blessure ouverte

des parties disloquées de la Québécoise en moi.

Hommage à la thèse de Mélany B.!

1. En désignant l’autrice de la thèse par « Mélany B. », je ne la nomme ni simplement par son prénom, Mélany, ni commodément par son nom complet, Mélany Bisson, mais par un entre-deux (qui donne plus d’importance au prénom). Je désire ainsi préserver un indécidable en ce qui concerne qui est celle qui écrit: elle [ailes] est portée par un élan, en essor.

2. Les pages entre parenthèses renvoient à : Mélany Bisson, L’éthique du devenir sujet femme : le sacré aux frontières de la jouissance, thèse doctorale présentée à la Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 2007.