Le projet de ce livre voulait rappeler la Woman’s Bible écrite à la fin du 19e siècle par un groupe d’une vingtaine de femmes américaines, sous l’égide de Elizabeth Cady Stanton. Cette nouvelle publication1 rassemble, sous la direction de Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Laurianne Savoy, 20 + 1 auteures qui relisent des textes controversés de la Bible concernant les femmes.
Ce livre a été écrit à l’aune de la diversité : la provenance géographique, l’appartenance ecclésiale et aussi les méthodes de lecture. Les auteures viennent de pays francophones : de la Suisse, de la Belgique, de la France, de l’Allemagne, du Cameroun, du Bénin, du Québec, de l’Ontario. Certaines proviennent d’églises de la réforme protestante, d’autres de l’église catholique. Elles sont théologiennes avec des compétences historiques, exégétiques ou pastorales. Leurs relectures bibliques suivent des méthodes diverses, leurs approches sont parfois plus analytiques, parfois plus synthétiques, et réfèrent à d’autres disciplines, la philosophie, l’éthique, la psychologie ou la sociologie pour proposer de nouvelles interprétations des textes.
Au niveau du contenu, la variété est aussi au rendez-vous. Le premier article traite des images de Dieu au féminin, de la Sagesse de manière éminente, dans l’Ancien Testament, et aussi chez les femmes mystiques chrétiennes. Par la suite, plusieurs auteures mettent en scène des personnages féminins connus ou moins connus : des femmes intermédiaires entre Dieu et le peuple, qu’on nomme prophétesses, mais aussi toutes ces femmes qu’on identifie à l’archétype d’Ève, la tentatrice et séductrice, ensuite des femmes courageuses, viriles, ou des femmes étrangères qui ont joué un rôle dans l’histoire du peuple d’Israël, et puis toutes ces femmes stériles qui ont reçu le don d’une naissance. Les textes évangéliques qui mettent en scène des femmes comme Marie de Béthanie et sa sœur Marthe, ou la femme Samaritaine, et bien sûr Marie de Magdala, sont repris de manière neuve. D’autres articles abordent des thématiques particulières comme la beauté des femmes, ou la violence qui leur est faite, ou la pudeur qui leur est attribuée ou imposée. Plusieurs de ces auteures réfèrent aux textes du Nouveau Testament les plus connus et controversés concernant la soumission des femmes, leur place ou leur comportement dans les assemblées, ou la question de leur habillement. Enfin, le livre se termine par le chapitre consacré à la Vierge Marie : c’est une relecture très imaginative et audacieuse qui donne la parole à Marie pour réinterpréter de manière critique les textes bibliques à la lumière de la conscience, de l’expérience et des pratiques féministes d’aujourd’hui.
La variété tout en richesse de ces lectures bibliques représente un défi pour en faire une présentation approfondie ou une évaluation. Aussi ai-je choisi certains articles qui m’ont davantage intéressée par leur nouveauté, ou qui présentaient une interprétation plus articulée sur la situation contemporaine. Il s’agit d’articles où sont analysés et interprétés des textes du Nouveau Testament concernant la soumission des femmes qui représentent un intérêt certain pour des croyantes féministes dans leur rapport aux églises. Et puis, une réflexion actuelle sur la pudeur pour relire la question de l’habillement des femmes s’avère des plus pertinentes dans notre contexte social et culturel.
Dans son article, Bettina Schaller2 nous offre une lecture de ce que la liturgie présente encore couramment concernant les relations entre les femmes et les hommes ; il s’agit du texte Éphésiens 5,21-33. L’auteure rappelle que le fameux passage « femmes, soyez soumises à vos maris » continue d’agir dans les esprits comme une domination de l’homme sur la femme. Et pourtant, quand on l’étudie de près, ce texte, dit-elle, est plus complexe que la répétition traditionnelle unilatérale. En premier lieu, il faut dire que le contexte est celui d’il y a deux mille ans, d’une société patriarcale, et qu’on parle d’un modèle social et juridique, d’un code familial. Le mot utilisé pour traduire l’ordre familial de l’époque devrait être traduit plus précisément en « subordination » plutôt qu’en « soumission » puisqu’il s’agit d’un ordre fonctionnel d’autorité : les maris, les femmes, les enfants, les esclaves. Par ailleurs, Éphèse est la ville de la déesse grecque Artémis, où il y avait des femmes prêtresses : peut-être, dans ce contexte hellénistique, que les femmes étaient plus libres. Et donc l’accent du texte biblique serait mis sur l’autorité dans la famille et non de manière plus générale.
D’autre part, le texte d’Éphésiens utilise l’analogie époux/épouse et Christ/Église pour parler de l’autorité maritale. En ce faisant, il introduit quelque chose d’autre qui transforme le lien ente mari et femme : la subordination doit être comprise à l’intérieur de l’amour/Agapè, ce qui qualifie le respect de l’autorité dans le modèle familial patriarcal d’un autre sens, celui de l’amour-don. Les maris sont incités à aimer leur femme, « tout comme le Christ nous a aimés… ».
Puis madame Schaller compare avec le texte de 1 Timothée 2,11-15 qui reprend le sujet de la « domination » mis en référence au récit de la création dans Genèse 2,18-24. Elle rappelle que le mot « adam » veut dire « terreux », et que le récit de création de la femme, en la tirant de la côte d’Adam, peut être interprété comme deux manières d’être humain ; « l’aide » donnée à l’homme devant alors être comprise au sens de « vis-à-vis ». L’interprétation que l’on trouve dans 1 Timothée a été durcie à partir d’une lecture où l’Adam est identifié à l’homme mâle créé avant la femme.
Dans Éphésiens, comme le montre l’auteure, l’interprétation faite à partir de la relation du Christ avec son Église permet une autre lecture de Genèse 2. Ce n’est pas par nature que la femme est « subordonnée » à l’homme, mais c’est la conséquence d’un désordre. Et l’amour-agapè manifesté par Jésus le Christ est un chemin pour sortir du conservatisme social et changer les relations entre les femmes et les hommes.
Pour Bettina Schaller, l’évolution sociale qui, de nos jours, met de l’avant le fait de l’égalité des femmes avec les hommes, permet de poursuivre l’interprétation des textes bibliques pour mieux réaliser la dynamique de l’amour-don de soi, de la dignité de la femme et de la mutualité comme manière de s’ouvrir à l’altérité, y compris dans la différence des sexes. Ce qui n’est pas encore très avancé dans les églises, pas seulement la catholique qui n’accepte pas encore le sacerdoce pour les femmes, mais aussi dans les églises réformées où des progrès restent à faire, et surtout dans les églises pentecôtistes qui prolongent le conservatisme. Et cela est une injustice faite aux femmes.
L’article de Hanna Woodhead3 nous introduit à une réflexion sur la pudeur tout à fait pertinente aujourd’hui, comme alternative à la vision et à l’attitude concernant le corps des femmes qu’on trouve dans des textes néotestamentaires et qui ont été transmis au cours de l’histoire chrétienne. À partir d’un constat partagé par les féministes croyantes, à savoir que des textes comme 1 Timothée 2,8-10 et 1 Pierre 3,1-4 sont tellement choquants et inacceptables pour des femmes du second millénaire qu’on voudrait les faire disparaître, d’autant plus qu’ils ont été lus et relus par des théologiens comme Tertullien, et autres. Notre auteure, bien qu’elle partage cette réaction féministe, estime tout de même qu’il y a quelque chose autour de la pudeur qu’on peut reprendre de manière neuve avec une autre vision du corps, et du corps féminin en particulier, avec des conséquences sur la question de l’habillement dans nos sociétés modernes.
D’abord, au sujet de la lecture des textes bibliques (ci-haut mentionnés), Hanna Woodhead apporte le contexte de ces écrits de la fin du premier ou du début du deuxième siècle pour éclairer le sens à leur donner. Les communautés chrétiennes cherchaient à s’intégrer à la culture ambiante du monde hellénistique et juif, et cela provoquait des débats qui portaient surtout sur les comportements des femmes dans l’espace public, compte tenu du code domestique au cœur de l’organisation et de la vie des familles, surtout celles de rang élevé. Les femmes devaient se faire invisibles presque, c’est-à-dire ne pas attirer l’attention pour rester à la hauteur de leur dignité, ou de leur honneur. C’était le sens à donner à cette réserve, vertu morale et sociale, applicable aussi aux hommes, selon Platon. Mais pour les hommes, on parlait de maîtrise de soi pour retenir leur colère, alors que pour les femmes, on leur attribuait la pudeur pour ne pas attirer les regards sur leur corps.
L’intégration des communautés chrétiennes a ainsi amoindri ce que Jésus, dans ses relations avec les femmes, avait changé pour hausser leur dignité. Et notre auteure de rappeler que le christianisme est fondé sur l’incarnation : l’apôtre Paul, d’ailleurs, n’a-t-il pas combattu les dérives dualistes des Corinthiens, pour qui l’âme seule était objet de salut ? C’est dans notre corps que nous sommes en lien avec notre Créateur, comme avec les autres. Et le corps féminin aussi est le lieu de la vie chrétienne. Dans les Évangiles, combien de récits où les corps des femmes sont mis en lumière, comme lorsque Jésus se laisse toucher par des femmes, se laisse mettre du parfum, etc.
Pour Hanna Woodhead, une interprétation valable aujourd’hui de la tradition chrétienne doit contrer le dualisme hellénistique pour s’ancrer dans notre conception anthropologique de l’unité du corps et de l’esprit, et donc d’une spiritualité qu’on qualifie de « holistique ». Cela permet d’affirmer la dignité du corps des femmes : elles n’ont pas à demeurer invisibles, à cacher leur corps. Cependant, on ne peut faire abstraction que, dans le regard des autres, notre corps peut être vu dans sa matérialité, comme un objet. Cette expérience nous fait prendre conscience que nous sommes un sujet, que notre corps exprime ce « soi » intérieur, et que nous ne pouvons être réduites au regard des autres. L’expérience spirituelle de bien des femmes aujourd’hui s’arc-boute à cette conscience d’être unifiées. Et c’est là que la pudeur prend place, dans cette compréhension que notre corps est comme une interface entre le soi intime et le soi social. Et dans la vision chrétienne, comme créature de Dieu, le corps participe de nos relations avec les autres et avec Dieu, ce qui empêche d’avoir une spiritualité centrée seulement sur soi. Mais comme femmes modernes, cette conscience que la pudeur permet de développer rend les femmes plus autonomes par rapport aux traditions culturelles et religieuses, qui ont pris naissance dans un contexte d’un ordre patriarcal qui s’imposait aux femmes considérées comme des mineures, et devant être protégées du regard et du désir des hommes.
Dans cette interprétation libératrice et féministe de la pudeur, Hanna Woodhead permet de réfléchir sur le rôle du vêtement dans le contexte actuel des femmes, du moins des femmes occidentales. La pudeur contribuerait à viser un équilibre entre ce qu’elle nomme l’authenticité qui permet d’exprimer ce que nous sommes par le vêtement, les parures, la coiffure, etc., et le dévoilement de notre corps, selon les situations que nous avons à vivre. Dans notre société actuelle, l’existence sociale des femmes est souvent réduite à leur corps, et le dévoilement de leur corps produit souvent le contraire de leur authenticité. La pudeur permet de mieux exprimer ce que nous sommes, ou ce que nous voulons être. Suite à cette réflexion, peut-être que les textes du Nouveau Testament qui nous sont rébarbatifs prendraient une certaine valeur…
En conclusion, je dirais que cet ouvrage est précieux pour prendre connaissance de l’avancée des études féministes dans le champ religieux, spécialement dans les traditions judéo-chrétiennes. Ce collectif francophone, international, dans toute sa diversité, met en lumière l’importance et le rôle des femmes dans ces traditions à travers les textes bibliques, même si ceux-ci ont été écrits par des hommes. Et la diversité des positions féministes que l’on retrouve dans cette publication, selon le mouvement féministe lui-même, contribue à rejoindre hommes et femmes croyantes de diverses appartenances, afin de rendre justice aux femmes, encore trop souvent empêchées par des structures et théologies conservatrices, de se réaliser selon toutes leurs capacités et leurs valeurs.
Certains articles présentent moins d’intérêt pour qui a déjà couvert ce champ de réflexion, mais plusieurs apportent de la nouveauté dans les analyses ou les interprétations. Même si je ne les ai pas présentées, les études portant sur la mariologie, sur les femmes en mission ou sur les situations de violence faite aux femmes font avancer les études en théologie féministe.
Louise Melançon
Professeure de théologie retraitée – Université de Sherbrooke
- PARMENTIER, Élisabeth, DAVIAU, Pierrette et SAVOY Lauriane (dir.). Une bible des femmes, Genève, Les Éditions Labor et Fides, 2018, 287 pages.
- SCHALLER, Bettina. « Il y a subordination et subordination » dans Une bible des femmes, sous la direction d’Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Lauriane Savoy, Les Éditions Labor et Fides, 2018, pp. 175-188.
- WOODHEAD, Hanna. « Cachez ce corps que je ne saurais voir » dans Une bible des femmes sous la direction d’Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Laurianne Savoy Les Éditions Labor et Fides, 2018, pp. 35-51.