Quelle dignité pour les femmes ?
Une question biaisée
Sylvaine Landrivon[1]
Dans cette aventure d’un Synode sur la synodalité, il faut en premier lieu reconnaître la main tendue que constitue la démarche mise en place par le pape François, et noter que la question de la place des femmes au sein de l’Église semble enfin se poser.
Mais, ce moment de satisfaction passé, regardons le libellé du sujet relatif aux femmes dans le document de travail proposé durant le synode 2023. Dans la partie B intitulée « Co-responsables de la mission – Comment partager les dons et les charges au service de l’Évangile ? », la question B 2.3 demande : « Comment l’Église de notre temps peut-elle mieux remplir sa mission en reconnaissant et en promouvant davantage la dignité baptismale des femmes[2] ? »
L’enthousiasme s’éteint dès la lecture de cette question, car celle-ci contient tous les ingrédients de l’essentialisme patriarcal abordant la place des femmes sous son étiquette de « dignité baptismale des femmes ».
L’expression si chère à Jean-Paul II est lâchée avant tout début de réflexion, puisque nous retrouvons le biais que constitue cette notion de « dignité… des femmes ». Cela nous renvoie bien sûr à Mulieris dignitatem[3] ; on a juste troqué l’insupportable singulier par un pluriel hypocrite, et cela fait ressurgir toutes les injonctions que contient l’expression en termes d’entraves, de subordination et d’aliénation.
En effet, nous savons trop, depuis Gertrud von Le Fort et Édith Stein, comment cette « dignité » est venue opportunément remplacer l’imbecillitas que Thomas d’Aquin attribuait à la moitié de l’humanité sous prétexte de l’inferior sexus décrit par Aristote à propos des femmes. Même l’Église a perçu qu’une discrimination sous cette forme ne pouvait plus opérer dans un Occident où les femmes montrent chaque jour, dans tous les domaines, qu’elles ont les mêmes capacités que leurs frères. C’est ainsi que le concept de « dignité » s’est forgé pour éliminer les femmes d’une manière plus subtile, non plus en minorant leur différence, mais en la sublimant, ce qui revient strictement au même quand il s’agit de les tenir à distance.
Mais les femmes ne sont pas dupes ; au service de cette nouvelle représentation, tous les mots deviennent des pièges. Nous entendons le message nous susurrant que, par « nature », « la » femme serait l’aide accordée à Adam et chargée de remplir sa haute fonction de mère. Là serait sa dignité sublime. Il suffit ensuite de l’illustrer par des considérations d’obéissance et de valoriser une maternité déconnectée de toute corporéité, dont le modèle sera celui d’une Vierge mère.
Or, toutes ces prescriptions reposent sur une lecture faussée de l’Écriture et ne servent que de faire-valoir à la toute-puissance patriarcale de l’institution.
Comment envisager que l’entreprise de réflexion synodale ait un sens, sans quitter ce discours excluant ? Il semble vain d’aborder la suite du sujet en termes de « Participation, gouvernance et autorité » comme indiqué dans le document de travail du synode de 2023, car l’angle d’attaque de la question est, d’emblée, faussé.
Une lecture biblique libératrice pour les femmes
Nous attendons une approche qui sortirait des impasses dans lesquelles la notion de « dignité » nous englue. Il importe pour cela de revenir à un enseignement biblique qui récuse les interprétations androcentriques, les omissions ou les modifications de textes.
Seule l’exigence d’un retour rigoureux aux textes sources peut restituer aux femmes la présence et l’autorité qui sont les leurs depuis le début du livre de la Genèse jusqu’aux épîtres pauliniennes, et dont l’institution les prive en dissimulant leur rôle. Une juste interprétation de l’Écriture est indispensable et elle est primordiale. Elle est le fondement de l’égalité baptismale de toutes et tous, qui interdit de poursuivre dans la voie discriminante sur laquelle se crispe l’Église catholique.
Par exemple, l’Écriture correctement relue nous dit que, là où l’Église parle « d’aide » au début de la Genèse, le terme exact est « secours » – ce secours que Dieu·e apporte à son peuple quand le mot est utilisé partout ailleurs dans la Bible. Et ce secours, qui n’est pas une aide, est une invitation à une relation authentique entre les deux êtres qui se font face, autrement dit une confrontation qui reconnaît la prise en compte de l’altérité. En outre, dans cette même Genèse, ce n’est pas de maternité qu’il est surtout question, mais de « nuptialité », à savoir d’un échange « holistique » (c’est-à-dire qui considère la totalité de l’être humain) avec celui ou celle en vis-à-vis. Fin donc de l’idolâtrie de la maternité au profit d’une relation horizontale entre deux individus égaux. Cette reconstruction impose de revoir à nouveaux frais le modèle de la mère de Jésus. C’est à devenir des sœurs et frères en Christ que nous sommes appelé·es, quand Jésus ressuscité dit à la Magdaléenne : « Va vers mes frères et dis-leur… » (Jean 20, 17), après avoir uni le « bien-aimé » à sa mère au pied de la croix (Jean 19, 26-27).
Au sein de l’Évangile, la virginité[4] et la maternité de Marie ne composent pas un traité de gynécologie. Ce sont des figures symboliques qui s’adressent à l’humanité tout entière. On notera au passage que Jésus n’appelle jamais sa mère autrement que « femme » et, quand il la confie au « bien aimé » sur un plan de filiation, c’est pour universaliser tout ce que cette femme d’Israël transmet au monde et que nous savons être contenu dans la puissance des versets du Magnificat. Marie devient la mère de toute l’humanité selon un autre registre que celui de la biologie. Quant à son obéissance, c’est encore un contresens de penser qu’elle est tournée vers des humains. Comme Judith avant elle, comme les femmes qui entrent dans la généalogie de Jésus selon Matthieu (Tamar, Rahab, Ruth, Bethsabée), Marie n’obéit qu’à l’Esprit de son Dieu·e et pour cela accepte d’entrer en dissidence contre les lois sociales de son pays.
On aura compris que ce n’est pas ce catéchisme qu’enseigne l’Église ni sur ces fondements que travaille le synode. Il faut donc déconstruire ces modèles instrumentalisés de femmes obéissantes et dignes, et réclamer un retour à l’Évangile jusque dans les choix révolutionnaires de Jésus, qui s’est toujours entouré de femmes depuis Marthe de Béthanie jusqu’à la Magdaléenne. On remarquera que l’institution appelle celle-ci « apôtre des apôtres » depuis le troisième siècle, se dispensant pourtant de transmettre sa qualité d’envoyée qui concerne autant les femmes que les hommes. C’est donc uniquement en revenant au plus près de l’Écriture, sur laquelle se fonde notre baptême, que l’institution sera en mesure de proposer aux femmes l’égalité intégrale à laquelle leur qualité d’image de Dieu·e les appelle.
De la complémentarité à l’égalité
Au tout début de la Bible (Genèse 1, 26), Dieu·e nous invite à être image et ressemblance. Mais il nous crée, dans un premier temps, seulement à son image (Genèse 1, 27). La ressemblance adviendra quand, ensemble, femmes et hommes seront capables d’honorer le sens de l’alliance qui se trouve au cœur du projet divin. Pas en complémentarité : en symbiose entre partenaires égaux.
Le synode choisit donc un mauvais chemin en mettant son champ lexical dans l’esprit de Jean-Paul II, dont les positions ont tant contribué à vider les églises de leur part féminine. À l’inverse de ce que sous-tendent les termes du sujet synodal, une religion de l’Incarnation doit reconnaître les femmes dans toutes les composantes de leur corporéité, réhabiliter leur place en reconnaissant leurs capacités à prophétiser, à enseigner, à gouverner, sans les biais de pureté ou de dignité qu’on ne réclame jamais aux hommes.
Par conséquent, la place de chaque catholique n’aura un sens que lorsque l’égalité de chaque baptisé·e sera prise en compte. Chacune, chacun étant reconnu·e en tant que prêtre, prophète et roi/reine, il sera possible de répartir les charges en fonction des charismes authentiques et non en termes de valorisation des prérogatives d’une caste cléricale masculine que les femmes devraient accompagner de leur sublime lumière.
En attendant la reconnaissance d’une réelle égalité baptismale, il nous incombe de transmettre urbi et orbi la véritable lettre de l’Évangile qui en impose la réalisation. Tant qu’elle ne sera pas acquise, toute participation à une réflexion pipée dès le départ ne sera qu’une « collaboration » au système en place. La démarche synodale ne signifiera rien pour les femmes et pour l’égalité dans l’Église aussi longtemps qu’elle sera abordée selon des termes qui annoncent avant toute analyse qu’il n’existe aucune volonté de changement sur le fond.
Peut-être aurait-il suffi de formuler la question autrement – en remplaçant « dignité baptismale des femmes » par « égalité baptismale » – pour que ce synode ouvre les portes d’un espoir de reconnaissance. Les termes utilisés ne l’ont pas été par inadvertance. Ils signent, hélas, l’intention de fond, qui n’est qu’une modification « cosmétique » des processus de gouvernance de l’assemblée ecclésiale.
[1] Sylvaine Landrivon a obtenu un doctorat en 2012 à l’Université catholique de Lyon. Maîtresse de conférences retraitée, elle est engagée pour une égale prise en compte des femmes et des hommes dans la transmission de la Parole et des charges pour partager l’Évangile. Elle est cofondatrice de Toutes Apôtres ! et coprésidente du Comité de la Jupe depuis 2023. Son dernier livre s’intitule La Part des femmes. Relire la Bible pour repenser l’Église (Éditions de L’Atelier, Paris, 2024).
[2] Souligné par l’autrice du texte.
[3] JEAN-PAUL II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem du souverain pontife Jean-Paul II sur la dignité et la vocation de la femme à l’occasion de l’Année mariale, Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana, 15 août 1988. https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/apost_letters/1988/documents/hf_jp-ii_apl_19880815_mulieris-dignitatem.html
[4] La virginité annonce que Dieu·e se révèle, qu’il vient pour aimer, en envoyant son Fils dans un peuple qui « se garde » pour lui. Et, à condition d’en comprendre à la fois le contexte et le but métaphorique, elle a du sens. L’Église catholique n’aurait-elle pas évité certaines méprises si elle en avait mesuré la puissance d’évocation ? Pourquoi a-t-elle oublié les prophètes, qui disent l’amour entre Dieu·e et son peuple à travers la figure d’une noce dont l’épouse doit rester vierge des idoles parce que cette virginité garantit son amour ?