Une expérience du toucher en milieu pédiatrique. Moi aussi j’aime les massages

Une expérience du toucher en milieu pédiatrique.

Moi aussi j’aime les massages

Nathalie Tremblay1, groupe Phœbé, L’autre Parol

La maladie et le temps d’arrêt qu’elle impose peuvent bien souvent se transformer en une occasion favorable de guérison intérieure ou d’enracinement dans ce qui compte vraiment. Les soins spirituels en milieu pédiatrique contribuent à l’humanisation de l’expérience de l’hospitalisation. L’intervention en soins spirituels cherche à comprendre ce qui anime les individus dans la lecture de leur vie. C’est à travers une rencontre avec l’autre que les thèmes sont explorés, par exemple le rapport à soi et à l’autre, le rapport au temps, les valeurs, les croyances, les personnes significatives, les passions, les rêves et les déceptions. Si on retrouve une grande diversité des sujets englobée dans le concept de spiritualité, les moyens d’entrer en relation sont tout aussi nombreux. Cet article illustre, à partir d’une situation clinique, le déploiement de la rencontre spirituelle par l’utilisation de la massothérapie.

J’étais auprès d’Alice2, une petite fille d’âge préscolaire hospitalisée depuis quelques mois sur l’unité d’oncologie. Je la rencontrais quelques fois par semaine. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque cette dernière me fit signe de toucher ses pieds ! En effet, s’il m’arrive à l’occasion de proposer aux parents un massage des mains ou d’enseigner quelques techniques pour les jeunes bébés, c’était la première fois qu’une enfant me faisait directement la demande d’un toucher.

Premier véhicule de notre vie en ce monde, le corps crie sa présence lorsqu’il est malade. De façon générale, lors de l’hospitalisation, les touchers sont multiples, mais la plupart d’entre eux sont des touchers désagréables, du fait qu’ils sont associés à des procédures qui génèrent bien souvent des inconforts. Les enfants hospitalisés n’y échappent pas : ils se retrouvent à l’hôpital d’abord à cause de leur corps (physique, émotionnel, spirituel) malade. Pourquoi s’intéresser au sens du toucher dans un contexte de réponses aux besoins spirituels ? Régulièrement, après avoir expliqué le travail d’intervenante en soins spirituels en milieu pédiatrique, les parents me demandent : « Comment se vit la reconnaissance de la spiritualité avec un bébé ou un enfant ? » L’objectif de cet article est de répondre à ces deux questions, mais surtout de témoigner de l’importance de la spiritualité, du rapport entre corps et esprit à partir de l’exemple de l’utilisation de la massothérapie. En effet, la mobilisation du toucher dans un moment de soins spirituels permet d’illustrer comment on peut vivre une rencontre spirituelle avec les enfants, pour les rejoindre dans leur univers.

Nathalie, moi aussi je veux un massage

Je me tourne vers la mère d’Alice qui m’explique :

  • J’ai eu droit à un massage, ce matin, offert par la fondation de l’hôpital. Je pense qu’Alice veut que tu lui fasses un massage.
  • Maman, vois-tu une objection à ce que je fasse un petit massage à Alice ?
  • Alice serait vraiment contente que tu lui fasses un massage ; d’ailleurs, c’est elle qui te l’a demandé.
  • Alice, on va faire un petit massage de tes pieds, de tes mains et de tes jambes. Tu sais, Jésus aussi utilisait ses mains pour faire du bien aux personnes malades.

Me voilà à parler de l’utilisation que Jésus a faite de ses mains à une petite à peine entrée dans l’enfance, pour souligner le bienfait qu’il y a à mobiliser le sens du toucher. Alice porte des bracelets au pied et au bras, avec des médailles de bébé Jésus et de maman Vierge Marie. Papa Joseph est également présent en image, au chevet d’Alice. Malgré son très jeune âge, elle grandit dans la foi chrétienne. Sa spiritualité est ancrée dans la prière et entourée de celle d’un grand-père pasteur africain, toujours au chevet de sa petite fille. La vie spirituelle d’Alice impressionne d’ailleurs chaque membre de l’équipe qui côtoie cette jeune grande dame. Indirectement, le massage de ses pieds nous a amenées à nous arrêter pour parler de maman Vierge Marie, cette maman qui est toujours présente auprès de son enfant bébé Jésus.

Dans le cadre du présent texte, cette expérience clinique me servira de point d’ancrage pour réfléchir sur l’utilisation d’une technique de bien-être – la massothérapie – à l’image de Jésus. L’évangéliste Marc reprend ces paroles de Jésus : « Je suis venu pour les malades et non pour les bien-portants » (Mc 2,17).

Dans le livre Pratiques et constructions du corps en christianisme, on indique : « Le corps est le lieu d’échange de pouvoir et de l’amour, de l’amitié, de la confiance, de la solidarité tout autant que de la trahison3. » Dans un contexte de réponse aux besoins spirituels, la mobilisation du sens du toucher devient une façon d’entrer en dialogue avec les enfants, dialogue ancré d’abord dans le mouvement. Pour Alice, cette invitation, ce dialogue, traduit une confiance et un désir d’entrer en relation. Amelia D. Auckett conçoit l’utilisation de la massothérapie comme une expression de l’amour pour l’autre à travers le bienfait du toucher4. Ainsi, les mains deviennent l’outil pour accompagner l’autre personne dans cette rencontre avec elle-même. Dans le cas d’Alice, elle est hospitalisée pour un cancer qui nécessite de prélever les globules blancs et de les réimplanter quelques semaines plus tard, ce qui fait en sorte qu’elle doit demeurer en isolement, impossible pour elle de sortir de sa chambre même pour aller à la salle de jeux.

Alors Alice, est-ce que ça fait du bien ? Veux-tu que je continue ?

Les traitements de chimiothérapie étant particulièrement intenses, Alice est très faible et ne peut sortir de sa chambre. Chaque fois qu’une personne de l’équipe médicale s’approche d’elle, c’est pour administrer un médicament ou pour procéder à des examens, ce qui s’avère pour le moins désagréable.

« Tu vois comme elle aime le massage ! » de s’exclamer sa maman.

Jésus se présente comme une figure d’accueil du prochain, un accueil centré autour d’un toucher qui guérit le corps malade de celui ou de celle qui souffre. De même, l’utilisation du toucher dans le contexte du soin devient une incarnation de l’agir du Christ en touchant le corps malade pour lui apporter paix et réconfort. La main devient ainsi porteuse d’un moment qui fait du bien, d’un temps où tous les petits tracas s’envolent, mais également d’une relation privilégiée. Le corps malade ne prend plus toute la place. La rencontre avec une autre personne ainsi qu’un lien avec Dieue peuvent advenir. On dépasse le corps malade pour y voir le corps porteur d’un message : la présence de Jésus-Christ ainsi que la présence bienveillante de la Sainte-Famille. En offrant à Alice ce massage, on reconnaît indirectement qu’elle habite son corps comme toute autre personne. Cela permet également de ressentir le corps comme un lieu de plaisir alors que les autres plaisirs ressentis par le corps sont supprimés par les traitements, par les effets secondaires importants ainsi que par la nutrition par gavage. De plus, l’utilisation de techniques de massothérapie permet de réduire certains inconforts, dont le stress, mais surtout, d’exprimer l’amour de Dieu à travers la relation au corps. Plus important encore, elle permet de comprendre et d’expérimenter cette idée centrale dans le christianisme, à savoir l’incarnation du verbe qui s’est fait chair. L’incarnation traduit ici l’indivisibilité du corps et de l’esprit, l’omniprésence du caractère divin dans l’humain.

De la même manière que Jésus a répondu à l’appel de la femme hémorroïse ou du lépreux, Alice m’a invitée à répondre à sa demande. Le toucher thérapeutique a ceci de particulier à savoir qu’il implique une présence à soi et à l’autre, de sorte que la personne qui reçoit le massage devient plus sensible à ce qui se passe à l’intérieur de son corps. Dans le cas présent, Alice nous rappelle qu’elle existe d’abord à partir de ce corps, corps malade, corps affaibli, mais corps qui veut être regardé, touché et aimé. Dans un tel contexte, le toucher devient un geste de compassion et d’amour du prochain qui se veut apaisant, réconfortant et incarné. Comme l’évangile de Jean l’évoque : « Je vous appelle amis » (Jn 15,15). C’est le sens « d’être avec » qui prend vie, qui se déploie en répondant à l’appel, en se mettant au service de l’autre.

La famille et la nouvelle famille que représente l’unité d’oncologie espèrent la guérison totale d’Alice. Celle-ci bénéficie des meilleurs soins possibles, mais aussi des bienfaits de la prière de sa famille. On peut toucher avec des mots, mais, d’abord et avant tout, avec notre corps. Comme le dit Ashley Montagu, « ce ne sont pas tant les mots que les gestes qui transmettent les émotions et l’affection dont chaque personne a grandement besoin 5  ». Si les paroles touchent, les gestes parlent de la présence, à soi, à l’autre, qui, lorsqu’elles se rencontrent, deviennent incarnation de la présence divine.

 

1 En 1999, Nathalie Tremblay a obtenu sa certification pour la pratique en massothérapie, du massage suédois. Elle est intervenante en soins spirituels en milieu pédiatrique.

2 Je remercie la maman d’Alice (nom d’emprunt) qui m’a donné l’autorisation d’écrire et de publier un texte sur cette rencontre particulière lors de l’hospitalisation de sa fille, autorisation verbale obtenue le 26 novembre 2023. Dans ce texte, j’ai repris à certains endroits des mots d’enfants, afin de conserver le caractère pédiatrique.

3 Maxime ALLARD, Jean-Guy NADEAU et Denise COUTURE, « Préface », dans Maxime ALLARD, Denise COUTURE et Jean-Guy NADEAU (dir.), Pratiques et constructions du corps en christianisme, Montréal, Fides (Collection Héritage et projet 75), 2009, p. 11.

4 Amelia D. AUCKETT, Le massage des bébés. L’attachement parent-enfant par le toucher, Montréal, Éditions de l’Homme, 1983, 120 p.

5 Ashley MONTAGU, La peau et le toucher. Un premier langage, trad. de l’anglais, Paris, Seuil, 1979 (1971), p. 220.