UNE MISE A JOUR DES TROIS VOEUX
Lise Lebrun, c.s.c.
Vivre les trois voeux tels que demandés par ma consécration religieuse en Sainte-Croix, me semblait aller de soi au début de ma vie en communauté. Très vite, je fus tiraillée entre l’esprit, le sens de ces voeux et ce qu’ils étaient devenus avec le temps: un ensemble de prescriptions et de défenses qui ne favorisait pas toujours la vie et la libération de la vie, en moi et autour de moi.
La grande remise en question se fit alors que, missionnaire en Haïti, j’étais chaque jour confrontée à la misère, à la pauvreté et à la mendicité. Devant ce peuple qui souffrait, c’est l’Évangile avec sa radicalité qui modela ma façon de vivre mes voeux. Peu à peu je redécouvris le partage avec la personne qui a faim et froid, la solidarité avec celle qui est exploitée, la fraternité avec celle qui est humiliée et rejetée.
À mon retour au Québec, mon implication avec les groupes populaires continua à modifier ma vision des choses et ma façon de vivre.
Pauvreté
Le voeu de pauvreté pour moi, c’est une façon de vivre selon des revenus obtenus par mon travail. Le partage matériel étant une priorité, j’apprends à vivre au jour le jour sans accumulation, sans réserve, sans sécurité assurée d’avance. Pour vivre cette pauvreté, il me semble important de me départir de toute étiquette ou statut pouvant m’assurer des privilèges que ne pourraient avoir les gens ordinaires; comme ma voisine, payer le prix demandé, faire la queue dans le corridor des hôpitaux, fournir des preuves de ma bonne foi, contribuer aux taxes et impôts, m’acquitter des amendes, etc …
Je redécouvre la notion de besoins; les vrais, les essentiels et les faux, ceux qui me sont imposés par la société de consommation. La pauvreté devient une sorte de distance, de détachement face aux objets, « gadgets », appareils (four micro-ondes, lave-vaisselle, magnétoscope, ordinateur, automobile), qui me sollicitent à l’achat inconditionnel de tout ce qui est nouveau sur le marché.
Il y a aussi une dépossession de l’image accrochée aux gens importants: administrateurs, professionnels, responsables, etc. Pourquoi le temps de ces gens bien cotés dans la société est-il si important? et non celui de ma voisine, assistée sociale, chômeuse, unique responsable d’une famille? Les moyens utilisés par les pauvres exigent beaucoup de temps et d’énergie: transport en commun, nombreuses courses pour achats en petite quantité parce que lourds à transporter. Je pense que mon temps n’est pas plus important que celui des gens de mon quartier, et je choisis les moyens qu’ils utilisent, en acceptant de m’entendre dire: « c’est pas efficace, c’est pas rentable … », mais ce temps devient fécond en contacts, rencontres et réflexion.
Chasteté
Mon coeur qui accueille les personnes de mon vécu quotidien, qui reste disponible à toute détresse, réalise ainsi l’une des façons de vivre sa chasteté. Il y a de plus ce dynamisme en moi qui appelle l’autre à la vie, qui l’amène à faire émerger sa propre vie, qui rend féconds ses efforts pour s’en sortir.
La chasteté implique aussi une dépossession de soi dans la relation avec l’autre. C’est si tentant de vouloir le contrôler, de l’amener à ce que je veux qu’il devienne, de le dominer par des pressions ou des manipulations … Etre chaste dans mes amitiés et mes affections, c’est renoncer à posséder l’autre et à me rendre indispensable auprès de lui.
C’est aussi accepter de ne pas m’installer dans la vie et le coeur des autres. C’est passer simplement, doucement, couper les amarres et recommencer à nouveau dans un terrain vierge.
C’est vivre une solitude choisie, qui me permet d’être toujours là quand quelqu’un frappe à ma porte.
Obéissance
L’obéissance, c’est d’abord à ma conscience éclairée par la Parole du Seigneur que je la dois. Attentive à l’Esprit qui agit en moi, je fais confiance aux intuitions qui émergent et qui m’interpellent. Lorsqu’il y a des décisions sérieuses à prendre, c’est dans un dialogue ouvert et franc que j’essaie de voir clair avec les personnes qui sont en autorité. C’est dans une relation d’adulte à adulte qu’ensemble nous essayons d’évaluer la situation. L’obéissance, pour moi, n’a rien à voir avec la fuie des responsabilités, la démission devant les choix à faire, l’aplatissement devant la volonté de l’autre, le refuge dans un rôle de victime dominée.
L’obéissance, c’est devenir de plus en plus authentique en retrouvant avec la collaboration de compagnes et d’amies ce que mon être profond est, et ce à quoi il aspire pour se développer en plénitude et atteindre la maturité qui est la sienne.
L’obéissance, c’est d’abord ce OUI à Jésus-Christ qui m’entraîne, à sa suite, à être avec les hommes et les femmes de ce temps, afin qu’ensemble nous bâtissions un monde plus humain, plus juste, plus vrai.
L’obéissance, pour moi, ne peut se vivre que dans le respect mutuel, la dignité et la libération du coeur accroché à Jésus-Christ.
Les trois voeux deviennent alors des moyens précieux pour vivre plus radicalement l’Evangile, la Bonne Nouvelle de l’Amour. C’est avec mes compagnons et compagnes de route, les hommes et les femmes de mon quartier et du monde que, dans une Espérance folle, j’essaie de vivre aujourd’hui le Royaume de Dieu tel que nous l’a actualisé mon Seigneur Jésus-Christ pendant son court passage sur terre.