Une petite brèche dans une muraille
Pauline Jacob[1]
La préoccupation de la non-accessibilité des femmes à l’ordination m’a habitée tout au long de la soutenance de thèse de Johanne Philipps[2]. Elle a ravivé une question laissée en veilleuse lors de mes recherches doctorales portant sur le discernement vocationnel de femmes de l’Église catholique du Québec qui affirment être appelées à la prêtrise ou au diaconat[3], soit le volet légal.
Que de fois me suis-je fait demander la raison pour laquelle aucune personne ne poursuivait l’Institution catholique pour discrimination envers les femmes puisqu’elles n’avaient pas accès à la prêtrise à cause de leur identité sexuelle. Dans les différents secteurs de la vie québécoise, un tel constat entraînerait des plaintes pouvant mener à des poursuites judiciaires la Charte canadienne des droits et libertés (1982) interdisant toute forme discrimination basée sur le sexe.
Je me rends compte que je n’ai pas creusé davantage cette question, ayant enregistré dans mon inconscient qu’il pouvait exister une entente entre l’Église et l’État donnant en quelque sorte préséance au droit canonique sur le droit civil, et qu’on ne pouvait y toucher… Pourtant j’ai investi plusieurs années de recherche sur la question de la non-ordination des femmes dans l’Église catholique et sur le discernement vocationnel de certaines d’entre elles. À l’instar de nombreuses femmes engagées en Église, je me rabattais sur le fait qu’il était très difficile d’envisager de poursuivre l’institution à laquelle on est rattachée presque viscéralement. C’est un peu comme poursuivre son père, sa mère, un proche. Un tel geste fait poser des questions concernant la fidélité à l’Église. Mais ce mur canonique qui semble influencer l’application de la loi touchant le rejet de pratiques discriminatoires envers les femmes au Québec doit être regardé et percé ; et ce, par fidélité à l’Évangile.
Johanne Philipps, par sa thèse, vient mettre le doigt dans cette plaie ecclésiale… Elle fait sortir de l’ombre le constat que la non-admissibilité des femmes à la prêtrise est un geste discriminatoire envers les femmes. La « reconnaissance par l’État québécois du droit canon est un phénomène occulté », affirme-t-elle.Et sa thèse permet de mettre en évidence ce mur canonique.Comment faire en sorte que cette question ne soit plus occultée, que le public en général et les catholiques en particulier sachent reconnaître cette entorse aux valeurs québécoises ? C’est une question que nous devrons porter avec elle. Le sous-titre de sa thèse, L’urgence de briser une évidence, invite à poursuivre la réflexion et à engager des actions pour que justice soit faite, et ce, au nom même de l’Évangile.
[1]Théologienne féministe, Pauline Jacob détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Elle est l’auteure du livre Appelées aux ministères ordonnés (Novalis, 2007), coauteure de L’ordination des femmes (Médiaspaul, 2011) et a à son actif plusieurs articles. Elle poursuit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’ordination des femmes dans l’Église catholique et est très active à l’intérieur du réseau Femmes et Ministères.
[2]Johanne PHILIPPS, Comment le projet de laïcité québécoise est défavorable aux femmes. L’urgence de briser une évidence, thèse doctorale,Université de Montréal, 2019. Disponible en libre accès à l’adresse : http://hdl.handle.net/1866/24791.
[3] L’essentiel de ma thèse se retrouve dans cette publication : Pauline JACOB, AppeléEs aux ministères ordonnés, Ottawa, Novalis, 2007.