UNE THÉOLOGIE FÉMINISTE DE LIBÉRATION
Une théologie féministe de libération est une réflexion faite à partir (1) de l’expérience de libération propre aux femmes qui consiste à ré-interpréter (2) la tradition chrétienne (religieuse) de façon non sexiste en vue de la pleine humanité (3) des femmes (comme des hommes).
1. Le point de départ de cette théologie est l’expérience féministe comprise comme une expérience de libération spécifique aux femmes à l’intérieur de laquelle est vécue l’expérience de foi. Une telle expérience féministe comprend d’abord la prise de conscience de l’aliénation/ oppression et marginalisation des femmes en tant que femmes par rapport aux autres oppressions (de race ou de condition sociale, économique ou politique). Cette expérience féministe de libération implique un processus de conscientisation qui se fait dans la solidarité avec les luttes des femmes (et aussi avec les autres groupes opprimés). Son caractère original lui vient de son enracinement dans les expériences historiques (y compris de leur condition biologique) des femmes tout en remettant en question les stéréotypes culturels, la division des rôles et des tâches et leur enfermement dans une « nature féminine ». Par exemple, la maternité est prise en compte dans la réflexion féministe pour permettre aux femmes de vivre cette condition d’une façon libérée et donc pleinement humaine. Ce sont donc les expériences des femmes telles que reprises par une analyse féministe, laquelle correspond à une pratique de libération, qui sont le point de départ de la réflexion féministe en théologie. Par ailleurs, nous parlons de l’expérience religieuse (ou de foi) des femmes qui se vit dans cette expérience et pratique de libération féministe: cela suppose une intégration (en processus) du vécu humain et religieux. C’est là le lieu propre de la théologie féministe qui vise à libérer les femmes à la fois dans leur condition de femmes et leur expérience religieuse, celle-ci étant considérée comme une expérience englobante (reliant l’expérience de soi, du monde, de la communauté à la relation au Divin).
2. Comme toute réflexion théologique, la théologie féministe a pour tâche de ré-interpréter la foi telle que vécue à travers notre tradition judéo-chrétienne (en ce qui concerne notre tradition), en fonction de nos expériences croyantes d’aujourd’hui, et cela d’une façon critique par rapport à l’une et à l’autre. Mais elle le fait du point de vue des femmes (à partir de la pratique de libération des femmes), de telle sorte qu’elle manifeste le caractère sexiste non seulement de la tradition judéo-chrétienne comme originant d’une culture patriarcale, mais aussi de l’ensemble de la réflexion théologique et de l’action ecclésiale jus13 qu’à aujourd’hui, lesquelles reflètent la culture masculine dominante de nos sociétés. Par exemple, les femmes n’ayant pu nommer leur expérience du Divin à partir d’elles-mêmes, ont été et sont encore mises en relation avec une conception masculine et patriarcale du Divin: non seulement Dieu est appelé Père, mais les femmes ne peuvent signifier-représenter le Divin d’une façon directe, elles doivent passer par le masculin. Comme la théologie de la libération, la théologie féministe cherche les éléments de la tradition qui ont été oubliés, négligés, biaisés, mais qui peuvent jouer un r61e libérateur pour les femmes (comme pour tous) en même temps qu’ils rendent l’expérience de foi chrétienne vivante et encore pertinente pour aujourd’hui.
3. La théologie féministe de la libération telle que présentée ici vise une pleine actualisation de l’expérience humaine et croyante des femmes. Tout ce qui dénie, diminue ou déforme le caractère concrètement humain des femmes est considéré non conforme à l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut comme a une relation positive au Divin. Par la théologie féministe, les femmes se font les sujets d’une authentique humanité (en conformité d’ailleurs à « l’image de Dieu » en Christ) en nommant leur expérience du Divin pour qu’elle ne soit pas négative: par exemple, elles rejettent les images et symboles qui les font bouc-émissaires du péché ou marginales dans l’action ecclésiale. En affirmant d’une façon positive leur différence, elles confrontent le masculin dans sa prétention à se faire la norme de l’humain, dominant et excluant toutes les autres expériences: par exemple, leur expérience du corps et de la sexualité les amène à une vision plus intégrée de l’humain et à une nouvelle compréhension de , l’Incarnation. Par le fait même elles prônent un nouveau mode de relation (dans la société comme dans l’Eglise) où égalité et différence se donnent la main: c’est la mutualité.
Louise MELANÇON
Sherbrooke