UNE VISION THÉOLOGIQUE ET FÉMINISTE DE LA PAIX
Louise Melançon, Myriam
Parler de paix dans notre monde actuel, aux prises avec des conflits interminables, des guerres tribales ou civiles, et la menace incessante du terrorisme international, représente un réel défi. Les revendications pacifistes, par ailleurs, continuent d’interpeller les humains et les sociétés à ne pas abandonner cet idéal d’un monde pacifique.
Les mouvements de femmes se sont joints à ces interpellations, spécialement au nom de toutes les femmes et de tous les enfants qui sont victimes des guerres depuis des millénaires. Il m’apparaît essentiel d’approfondir notre réflexion sur cette aspiration à la paix qui habite le cœur des humains. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on tente de vivre dans la paix, individuellement et collectivement. Le témoignage des penseurs qui nous ont précédés peuvent nous aider. Et comme chrétiennes féministes, à partir de l’évangile dont nous voulons témoigner, nous portons à la fois l’accueil du don de la paix, et la tâche d’être des artisanes de paix.
I. Quelques remarques étymologiques et définitions
1.1 Le mot “paix” a des origines indo-européennes, pag, pak, qui réfère à “un pieu que l’on enfonce pour marquer la limite d’un territoire”1. Il est alors question de cessation des hostilités, de traité de paix. Ainsi l’on identifie souvent la paix en premier lieu à ses aspects négatifs: la paix est l’absence de guerre, c’est une évidence plus facile à nommer. Et la paix comprend une dimension intérieure et une autre extérieure. Individuellement, on parle surtout de la paix intérieure, cette harmonie à l’intérieur de soi où l’on remporte la victoire sur les inquiétudes et troubles qui nous assaillent. Les philosophes grecs, les stoiciens comme Sénèque ou Marc-Aurèle, ont bien développé l’idée de la paix de l’âme nommée ataraxie qui renvoie à la métaphore d’une mer non agitée. Même les épicuriens favorisent la modération dans les désirs, les plaisirs, pour vivre dans la tranquillité de l’âme. Extérieurement, on vit aussi, dans nos relations, des situations plus ou moins conflictuelles qui peuvent verser dans l’hostilité et dans certaines formes de guerres. Mais c’est surtout dans les rapports entre pays, sociétés ou groupes sociaux qu’on réfère à la dimension extérieure de la paix.
1.2 L’une des définitions de la paix qui a le plus marqué notre culture occidentale, c’est celle d’Augustin dans “La cité de Dieu”: la paix est la tranquillité dans l’ordre. Il met l’accent sur l’aspect positif de la paix, développant ce qui en est la source: l’ordre. Thomas d’Aquin reprendra cette définition pour l’approfondir, particulièrement en parlant de la “concorde”2, qu’on doit s’imposer pour vivre dans la paix civile, et son dépassement intérieur, qui est l’état d’union de tous les mouvements de notre âme. Il n’y a pas de paix sans justice, diront plus tard Jean XXIII, Paul VI, et Jean-Paul II. Dans le contexte de la “guerre froide”, à l’époque, Pacem in terris (1963) parlait de la paix mondiale, globale, interpellant les organisations internationales. Première encyclique à s’adresser à tous les hommes de bonne volonté, elle prônait le lien entre tous les humains pour construire la paix, en se reposant sur les piliers suivants: la vérité, la justice, la charité, la liberté. L’ordre qui en est la source est développé en termes de droits à respecter par les humains et entre les humains. On sait que Jean-Paul II reprendra sans cesse ce même discours qui marquera sa contribution à la paix mondiale.
II. Pratiques féministes et vision de la paix
Les mouvements de femmes, partout dans le monde, se sont joints aux mouvements pour la paix. Dans certains cas, elles se démarquent de la politique de leur pays, comme le mouvement féministe israélien qui lutte pour le retrait de leur armée des territoires occupés: à la manière des “femmes de la place de mai”, les “femmes en noir” se rassemblent tous les vendredis sur une place publique. Mais le plus souvent la cible des femmes est la dénonciation singulière de la violence faite aux femmes au cours des multiples conflits, comme le viol systématique des femmes en Bosnie, ou au Darfour. Et aussi l’impact tragique sur la vie des femmes et des enfants dans les zones de guerres, où la nécessité de leur déplacement les met dans des conditions inhumaines de survie, comme au Darfour. Ces dernières années, des femmes ont reçu le Prix Nobel de la Paix: Shirin Ébadi (2003), avocate iranienne, musulmane, engagée pour le respect des droits humains et la démocratie dans son pays; et Wangari Maathai (2004), militante écologiste au Kenya qui travaille au développement durable et à celui des femmes. Depuis la Marche mondiale des femmes ( 2000), des femmes travaillent à établir des liens de solidarité entre les femmes du monde entier en vue de la construction d’un monde de justice, d’égalité, de liberté, en un mot un monde de paix. (cf. Charte mondiale des femmes, 2005)
On pourrait dire que les mouvements pour la paix véhiculent une vision utopiste de la paix: imaginer un monde sans guerres, alors qu’il y a tant de conflits qui ne cessent depuis des années partout sur notre planète, peut apparaître illusoire. Mais la vision utopique se concrétise par l’engagement à plus de justice, d’égalité, de liberté, de solidarité dans des contextes définis, particuliers. La somme de tous ces efforts contribue à faire avancer la cause de la paix. Et les femmes, en travaillant pour leur propre cause, apportent une contribution essentielle, inédite dont on peut espérer l’avènement d’un monde nouveau.
III. Artisanes de paix
Comme chrétiennes qui nous gardons à l’écoute de l’annonce évangélique, nous avons une motivation propre à devenir artisanes de paix. Notre foi en un Dieu créateur/Sagesse d’un univers ordonné dans toute sa diversité, en un Dieu/Shekinah qui se révèle comme désireux de faire alliance et d’habiter avec les humains, en un Esprit/Souffle d’amour et de filiation qui se donne à nous, cette foi fonde et nourrit notre aspiration à la paix. Nous sommes appelées à développer notre harmonie intérieure, malgré et au-delà de nos conflits intérieurs, nos peurs et nos colères, à nous ouvrir aux autres malgré et au-delà des différences qui nous interpellent et bien souvent nous menacent, et cela autant dans nos relations privées que publiques.
Travailler à la paix, comme une artisane, dans le quotidien, dans la modestie et la recherche de qualité dans mes diverses relations, et cela dans l’assurance d’être précédée par une Réalité bienveillante, créatrice de miséricorde, de réconciliation et de paix, telle est ma vision.
1. http://cpge-cpa.ac.ma/cpge/français/ARCHIVES/2002-2003/travaux02-03/thematiquedelapaix.htm
2. Somme théologique IIaIIae,qu.29