Liminaire
Le dernier numéro de L’autre Parole paru sous le titre : « Un autre monde est possible » proposait des textes à l’appui de cette affirmation. Aujourd’hui, en présentant le thème « Eucharistie et pouvoir clérical » c’est à une Église autre possible que nous songeons. Dans l’Église catholique romaine, l’Eucharistie serait-elle en résidence surveillée ? Qu’en est-il des autres religions soeurs ? En réponse à notre appel, des auteures chevronnées ont accepté gracieusement de partager le fruit de leur expérience, de leur réflexion et de leur interrogation à ce sujet. Nous les en remercions.
Notre première intervenante, Alice Gombault, nous offre une analyse lucide et percutante des positions de l’Église catholique dans son rapport au monde d’aujourd’hui en retraçant l’histoire de l’alliance entre l’Eucharistie et le pouvoir clérical à partir de ses débuts au IV siècle. Le pouvoir considéré comme sacré et réservé aux hommes entraîne d’abord la subordination des laïcs aux clercs puis des femmes aux hommes, constituant ainsi le fondement de la hiérarchie et de l’identité cléricale qui culminent dans la célébration eucharistique où apparaît plus que jamais comme impossible l’admission des femmes au sacerdoce. Puisque le problème est loin d’être résolu, peut-être faudrait-il des pratiques nouvelles pour faire bouger l’institution?
Pour sa part, Marie-Thérèse van Lunen Chenu, femme au verbe direct, sait manifester un esprit synthétique percutant dès l’intitulé de son texte : « sexualisation/ sacralisation, sacralisation/sexualisation de l’Eucharistie ». Ce sont là, présentés sous le masque de la Tradition, deux enchaînements du passé, deux refus de réflexion, deux excès de pouvoir consubstantiels l’un à l’autre, se renforçant, se justifiant, se réactualisant l’un par l’autre. Ainsi la solennité déployée par Rome pour lier encore aujourd’hui sexualisation, sacralisation et culte eucharistique s’inscrit bien comme un contre témoignage aberrant envers l’annonce évangélique.
Dans « Libres propos sur quelques symboles et paradoxes », Marie Gratton, infatigable chercheuse, habile à s’orienter dans les chemins tortueux pour y dénouer les impasses, raconte comment elle tente d’interpréter ici l’expression « l’Église, épouse du Christ », affirmée par le Saint-Siège. Peu ton concilier l’idée d’une Église épouse du Christ et donc, soumise à lui, comme l’enseignait saint Paul, avec l’exercice du pouvoir clérical qui ne s’exprime jamais avec autant de force que dans la célébration de l’Eucharistie ? Si le prêtre représente l’Église épouse, on peut penser qu’elle serait mieux signifiée par une femme. Si par contre le prêtre représente le Christ, il faut se demander si c’est dans son humanité, le reconnaissant comme sauveur, ou dans sa masculinité, sacralisée par le pouvoir patriarcal et incarnée dans un ministre de sexe masculin ? Évidemment , la chose est claire ce n’est pas de l’Église entière dont il est question ici.
À la question : « À qui profite l’exclusion des femmes de la présidence de l’Eucharistie » Pauline Jacob, spécialiste engagée dans l’analyse de récits de cheminement vocationnel, répond: «Évidemment pas aux femmes, surtout pas à celles qui sont engagées en Église. Selon les modalités prévues par l’institution ecclésiale, les femmes ne peuvent pas vivre jusqu’au bout le rassemblement des communautés chrétiennes autour du repas eucharistique. Voir une femme célébrer à l’autel viendrait secouer le coeur de l’univers physique sacré que des hommes se sont approprié au fil des siècles. Le refus d’ordonner des femmes ne peut donc profiter qu’au maintien d’un patriarcat qui continue à ancrer les hommes et les femmes dans des rôles prédéterminés.
À son tour Claire Borel Christen, laïque active dans l’Église Unie, nous invite, à partir d’une mise en scène appropriée, à départager ce qui distingue son Église de l’Église catholique en ce qui a trait à la célébration eucharistique. Pour elle, l’Église Unie serait plus progressiste que l’Église catholique quant à l’ordination sacerdotale où elle accueille les femmes ainsi que par rapport à la liberté laissée aux paroisses lors de la célébration de la Cène où la communauté, rassemblée dans un partage dit sacré, est plus qu’un mémorial. En somme rien de statique, ni d’immuable dans cette Église.
« Attention : femme au travail »; voilà comment se présente l’auteure Mia Anderson, pasteure de l’Église anglicane, pour inviter ses lectrices et lecteurs à suivre son itinéraire de femme ordonnée évoquant, d’une manière intimiste et vibrante, pleine d’humour, sa vie personnelle de pasteure ainsi que sa conception de l’Eucharistie selon la tradition anglicane. Vous ne regretterez pas de vous mettre à sa suite.
Dans ces deux derniers reportages, il est facile de constater que les Églises protestantes et anglicanes devancent l’Église catholique en ce qui regarde l’inclusion de la mission des femmes en Église. En conclusion, Yveline Chevillard, dans une brève recension, évoque comment la complicité qui existait entre Jésus et les femmes de son temps peut nous donner du souffle pour l’avenir.
La lecture de ce numéro sous le thème « Eucharistie et pouvoir clérical » provoquera sans doute chez vous, lectrices et lecteurs. quelques surprises, déclenchera peut-être aussi des questions que vous aimeriez partager. Quelles que soient vos réactions nous vous serions très reconnaissantes de nous les faire parvenir par courriel à l’adresse figurant au dos de la revue. Nous en ferons rapport dans notre prochain numéro.
Bonne lecture !
Yvette Laprise
Pour le comité de rédaction