LIMINAIRE.
« POUR LA VIE ET POUR LE CHOIX »
Depuis les années 1980, L’autre Parole est préoccupée par l’articulation d’une réflexion éthique, féministe et chrétienne sur l’épineuse question de l’avortement.
En décembre 1981, un groupe de la collective, appuyé par d’autres groupes féministes préoccupés par cette problématique, avait convoqué une conférence de presse pour redire l’importance du libre choix et notre « solidarité à toutes les femmes qui donnent et entretiennent la vie depuis des siècles et des siècles ». Nous disions à l’Assemblée des évêques du Québec que « la vie des femmes n’est pas un principe » (L’autre Parole, no 17, avril 1982).
En 1987, la collective a pris position. Nous disions « oui à la vie » et « oui au choix des femmes » de poursuivre ou ne pas poursuivre une grossesse (L’autre Parole, no 33, mars 1987). Nous soulignions que notre position était située dans le temps.
Plus de 25 ans plus tard, nous avons repris la question dans le contexte d’aujourd’hui, un contexte où les conservatismes politiques, religieux et sociaux sont de plus en plus présents. Notre démarche s’est faite en trois temps. D’abord, nous nous sommes rencontrées le 9 février 2013, pour une première journée de réflexion et de discussion sur le sujet. Ensuite, nous avons travaillé à l’élaboration d’un texte qui a été soumis d’innombrables fois au regard de chacune, via de non moins innombrables courriels. Enfin, nous avons discuté les dernières variantes du texte lors de notre colloque annuel du mois d’août, avant de l’accepter officiellement en assemblée générale. Ce qui découle de ce processus est un texte mûrement réfléchi et authentiquement collectif. Nous en sommes fières, comme nous sommes fières d’être arrivées ensemble à un consensus, une « position » que nous savons originale. Nous partageons avec vous notre cheminement et nos réflexions.
Nous croyons fermement que les femmes sont des sujets autonomes, conscientes et responsables et que devant des choix déchirants au regard de poursuivre ou ne pas poursuivre une grossesse, elles auront une réflexion éthique. Nous avons pris position une nouvelle fois pour dire que, comme femmes féministes et chrétiennes, nous sommes « pour la vie et pour le choix ».
Si, d’une part, les divers conservatismes définissent de plus en plus le type de société dans laquelle nous vivons, il y a des avancées dans l’articulation de la pensée éthique, féministe, chrétienne, écoféministe et anticoloniale. Nous avons voulu requestionner la problématique de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en nous fondant sur les nouvelles recherches en la matière. Nous avons voulu regarder à nouveau les questionnements du nombre, des statistiques, les enjeux actuels, les positions anti-choix du Vatican, et nous osons proposer de nouvelles pistes pour une « approche antiraciste, écoféministe et chrétienne ».
Dans la première partie de ce numéro, nous vous présentons la position de L’autre Parole sur l’avortement (2013) avec les contextes ayant mené à cet énoncé. Nous ne sommes pas pour l’avortement, mais « pour la vie et pour le choix », un choix éclairé que font les femmes dans les conditions matérielles, économiques, psychologiques où elles se trouvent, si elles ont à faire un choix.
La deuxième partie du numéro comporte des articles de fond sur les principaux enjeux que nous avons analysés, comme collective, lors d’une journée d’étude tenue en février 2013.
Louise Desmarais, auteure de Mémoires d’une bataille inachevée – La lutte pour l’avortement au Québec 1970-1992, dresse dans un premier temps un portrait des principaux événements depuis 1992. Si dans le passé, des victoires importantes ont permis aux femmes du Québec et du Canada d’exercer le libre choix de la maternité et de leur droit d’interrompre ou non une grossesse, depuis vingt ans, nombre de tentatives ont vu le jour afin de restreindre ce droit. Dans un deuxième temps, L. Desmarais situe Les enjeux actuels pour les femmes. Pour les partisanes et les partisans d’un libre choix, il faut empêcher la recriminalisation de l’avortement, il faut faire élire des femmes et des hommes « pour le choix », lutter pour maintenir les services d’IVG, reprendre l’offensive des mesures qui permettraient de faire diminuer le nombre d’avortements, etc.
Dans un article signé à quatre mains, Denise Couture et Élise Couture-Grondin, mère et fille dans la vie, théologienne et doctorante en littérature comparée, posent deux questions pour nous faire cheminer : « Dans une perspective écoféministe, ne pourrions-nous pas proposer les critères de vies durables et des choix durables? Et, dans une perspective antiraciste, ne pourrions-nous pas éclairer quelques aspects cruciaux de la forte polarisation du débat actuel sur l’avortement? » Il y a, disent-elles, « nécessité de développer une éthique élaborée à partir de conditions matérielles de la vie et des choix ».
L’article suivant, intitulé Le fondement patriarcal de la position anti-choix du Vatican, signé par Denise Couture, présente une analyse d’une lecture par Jean-Paul II du texte de la Genèse qui justifie l’interdiction absolue de l’avortement. Le texte rappelle la « vision hiérarchique de l’ordre des choses selon la séquence : Dieu, homme, femme, nature ». La force du patriarcat, tel qu’il s’exerce dans l’Église institution, permet un positionnement « dans un ordre hiérarchique qui subordonne les femmes ». On fait également appel aux femmes comme éducatrices pour transmettre ces normes de vie patriarcales.
Une troisième partie du numéro présente deux outils : d’abord, des réflexions de Louise Desmarais sur les statistiques et l’importance de s’interroger entre autres sur les présupposés qui prévalent à l’établissement du taux d’avortement; ensuite, une bibliographie thématique et commentée des principaux ouvrages qui ont alimenté nos réflexions.
Nous réitérons notre solidarité envers les femmes qui devant une grossesse non désirée osent se poser des questions et nous sommes solidaires de leur décision. Nous croyons également en l’importance de mener parallèlement des actions concertées pour diminuer le nombre d’avortements. À cet égard, nous mettons de l’avant certains questionnements, certaines pistes pour des actions qu’il faudrait entreprendre, des réflexions à poursuivre, des gestes à poser. Finalement, nous croyons que les paroles énoncées en 1981 pourraient être reprises aujourd’hui : « aucune autorité extérieure (civile ou religieuse) ne peut se substituer au jugement de la conscience individuelle, seule pleinement responsable et capable d’apprécier les données complexes qui caractérisent une situation donnée » (L’autre Parole, no 17, avril 1982).
Le comité de rédaction